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Billie Jean King, l'entretien avec Le Parisien

L’icône américaine, dont l’autobiographie vient de sortir en français, aimerait que ses descendantes soient aussi investies qu’elle dans sa quête d’un monde meilleur.

Quelques mois après la version originale, la traduction française de l’autobiographie de Billie Jean King vient de sortir (Billie Jean King, Autobiographie d’une Icône, 528 pages. Editions Talent Sport. Prix conseillé : 21,90 euros). En deux petits mots, le titre originel dit tout de la vie de l’immense championne et militante, âgée de 78 ans. « All In ». Au poker, faire tapis. La lauréate de 12 Grands Chelems, fondatrice de la WTA (association de joueuses) en 1973, gagnante de la fameuse « Bataille des Sexes » face à Bobby Riggs la même année, a dédié toute son existence à se battre pour l’équité et l’égalité. Un parcours unique.

« J’ai mis tout mon cœur et mon âme dans ce livre, sourit-elle à travers un écran d’ordinateur depuis les États-Unis avant de venir en France pour la fin du tournoi de Roland-Garros. On a dû monter jusqu’à 900 pages mais on ne peut quand même pas sortir un livre de 900 pages ! On a dû en couper la moitié… » Suffisant pour comprendre la quête d’une jeune fille de 12 ans qui rêvait de créer un monde à son image.


Les plus jeunes générations vous ont redécouverte à l’occasion du film « Battle of The Sexes » (sorti en 2017). Comment leur résumeriez-vous votre vie ?

BILLIE JEAN KING. Dès que j’ai commencé à jouer au tennis, je savais que je voulais devenir n° 1 mondiale. J’étais dans ma rêverie mais j’ai vite compris que dans le club où j’étais, à Los Angeles, il n’y avait que des Blancs qui portaient des tenues blanches et jouaient avec des balles blanches. Je me suis dit : où sont les autres ? C’est à ce moment-là que j’ai su que je me battrais le reste de ma vie pour l’égalité et l’équité.

J’avais 12 ans et même si je ne savais pas encore comment faire, j’avais compris que mon sport avait une portée internationale. C’était une chance unique. Si j’étais assez douée, je pourrais voyager. Et si je devenais n° 1, peut-être pourrais-je faire du monde un endroit meilleur… J’aurais pu faire une carrière encore plus grande si je n’avais pas été autant investie dans cette quête.


Quelle est la plus grande différence entre le circuit de votre époque et celui d’aujourd’hui ?


L’argent et la célébrité ! Les femmes ont plus d’opportunités. Le plus grand défi pour chaque sport naissant concerne la professionnalisation sur les deux premières générations. Aujourd’hui, j’aimerais plus entendre les joueuses s’exprimer. Pas seulement jouer au tennis. Certaines le font probablement mais je n’en entends pas assez parler. J’aimerais qu’elles songent aux générations futures. Où va aller leur sport dans 5 ou 10 ans ? Que veulent-elles ? Elles ne se sont jamais posé la question alors que c’est tout ce qui me préoccupait quand j’étais une jeune fille. Mon premier combat, c’était qu’on soit tous pros, hommes et femmes, mais ils ont essayé de
se débarrasser des femmes… Je pense toujours que nous devrions être ensemble (avec le tennis masculin), penser ensemble, former une association où nous serions tous égaux.


Les champions sont trop égoïstes ?


Regardez  Barty qui vient juste d’arrêter à 25 ans . J’ai cru que c’était une blague. Elle a gagné près de 24 millions de dollars sur le court, peut-être plus en dehors. Elle n’a plus besoin de travailler mais j’aurais aimé qu’elle se demande comment elle affecte son sport. D’un côté, je suis heureuse pour elle, mais de l’autre je me dis : non, tu ne peux pas partir comme ça par rapport à ce qu’on a fait il y a 50 ans. Les jeunes ont besoin de te voir jouer, pense aux messages que tu peux envoyer. Je sais par exemple qu’elle se soucie beaucoup des peuples indigènes. J’adore le fait qu’il y ait plus d’argent et de choix de nos jours mais j’aimerais parfois qu’ils écoutent plus le monde qu’eux-mêmes. Ces superstars doivent être un exemple pour les autres, elles ont le pouvoir d’apporter à notre sport.

Comment leur faire prendre conscience ?

J’aimerais que nous ayons une vraie rookie school (formation pour les jeunes) à la WTA. Pour enseigner aux jeunes filles leur responsabilité par rapport à l’histoire, comment elles peuvent construire sur ça et améliorer les
choses. Le sport est une plate-forme unique et nous sommes extrêmement chanceux de l’avoir. Je veux juste que les joueurs voient plus loin. Qu’ils pensent « nous », comment je peux aider mon pays, etc.
J’ai rencontré récemment l’équipe féminine d’Ukraine (qui a affronté les USA… dans la Billie Jean King Cup, nouvelle appellation de la Fed Cup). Elles sont fantastiques, des filles extraordinaires. Je ne sais même pas comment elles arrivent à faire ce qu’elles font. La fédération américaine (USTA) a donné

10 % de la recette à une fondation pour l’Ukraine, les Français font sûrement quelque chose (La FFT a lancé un programme de solidarité). C’est ça le sport… Même si la pandémie a un peu changé les choses, il n’est pas facile de sortir de sa bulle… Les agents ont aussi trop d’influence. Les joueuses ne pensent pas assez par
elles-mêmes. Beaucoup me demandent : que devrais-je faire et je leur réponds : pourquoi tu n’apprends pas le business ? As-tu déjà parlé avec l’organisateur d’un tournoi ? T’es-tu intéressée aux difficultés qu’il a pu rencontrer, comment il a investi, surtout dans les épreuves secondaires, pour vous donner l’opportunité de jouer ? Où il a trouvé l’argent ? Jamais personne ne m’a répondu oui ! C’est pour ça que nous avons besoin d’une rookie school.


« Mauresmo directrice de tournoi,
c’est fantastique. »

Vous avez été la première joueuse à faire votre coming out en 1981 (contrainte par les révélations de son ex-compagne). Comment expliquez-vous qu’il y ait assez peu d’athlètes en activité qui se dévoilent quarante ans plus tard ?
 

Il y a des difficultés émotionnelles. Ils ont peur de perdre des engagements, etc.. C’est dur de franchir le pas. Mais regardez Amélie Mauresmo. Je ne sais pas à quel point elle a été affectée (à 19 ans en 1999 à l’Open d’Australie) mais n’a-t-elle pas finalement amélioré sa façon de vivre ? Les athlètes ont peur vis-
à-vis de leurs familles, certaines ne sont pas très compréhensives, chassent leurs enfants de la maison s’ils sont gays ou transgenres. Les plus jeunes, en particulier, ont besoin d’un amour inconditionnel. J’espère que de plus en plus de joueurs vont se sentir à l’aise, ne vont pas nier simplement ce qu’ils vivent, que plus d’hommes auront assez de courage pour le faire. Ils seraient beaucoup mieux dans leur peau. Si vous pensez que vou allez perdre de l’argent, si vous vous sentez honteux… C’est un long voyage d’essayer de comprendre qui on est. Mais croyez-moi, comparé à 1981… J’ai tout perdu en une nuit. Je ne pense pas que ça se passerait à présent.


Amélie Mauresmo directrice de Roland-Garros, c’est un message
fort ?


Oui, c’est une belle déclaration pour tout le monde et pour la communauté LGBT. Elle a fait progresser les choses de son côté, elle a entraîné Andy Murray, c’est une héroïne par ce qu’elle a fait et ce qu’elle est. Elle a été une grande championne, elle est très courageuse et c’est un magnifique exemple pour la France. L’avoir comme directrice de tournoi, c’est fantastique.

 

Entretien réalisé par Éric Bruna pour Le Parisien.