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Le Figaro : "2021 dans la roue du sprinteur Arnaud Démare"

LE SCAN SPORT - Le coureur français de l'équipe Groupama-FDJ raconte sa saison dans un livre riche en anecdotes et en confidences.

Carnet de route. Au plus près des sensations, des émotions. Dans le calme et le repli des moments de pause ou de doute. Dans l'euphorie des moments fastes. Dans Une année dans ma roue (écrit avec la collaboration de Mathieu Coureau, aux éditions Talent Sport), Arnaud Démare se confie sur son quotidien de champion et d'homme. Son année (9 bouquets, avec un magistral succès sur Paris-Tours en conclusion) n'a pas été aussi faste qu'en 2020 (14 victoires), elle en est plus touchante. La mise à nu du Picard révèle la violence des sentiments et la fragilité de la construction des succès. Un témoignage. Arnaud Démare commente quelques extraits.

Le sprinter, cet «avant-centre» d'une équipe de football.

Fan de foot, Marc Madiot décrit son sprinter comme un «avant-centre dans une équipe de football, Arnaud ce n'est pas le mec qui fait la dernière passe. C'est le buteur»

«C'est ça. Il faut scorer. Il faut que ça tourne, pour éviter le côté psychologique. Je sais que je peux m'appuyer sur mon train. Quand ils se disent c'est notre victoire, c'est nous qui allons gagner, quand ils ont cet état d'esprit, cette confiance, cette envie, on sait qu'au bout c'est pour nous. C'est tellement dur le vélo que quand cela se passe bien, il ne faut rien laisser passer. À 20 ou 25 km de l'arrivée, on est roue dans roue. S'il en manque un, on l'appelle dans l'oreillette. Avant, chacun fait sa petite vie, on se retrouve dans des endroits stratégiques mais là, on montre qu'on est là. On sait comment sont les jambes de chacun et l'articulation du sprint est déjà faite. L'objectif c'est qu'ils me lancent dans les meilleures conditions à 200 m de la ligne. Là, je sais si je suis en bonne position pour l'emporter…»

Les cétones, produit miracle de certaines équipes.

 

Symbole d'un cyclisme qui va toujours plus vite, Arnaud Démare écrit : «J'ai l'impression parfois de manger de la salade pendant que d'autres bouffent des pâtes, on ne sait pas si les cétones (une boisson comparée à un carburant qui permet aussi de perdre du poids à l'entraînement) suffisent, ni comment ça marche. Mais ça parle dans le peloton (…) Cette saison plusieurs équipes sont au même niveau. On voit même des sprinters faire des performances inattendues en montagne, voire hallucinantes, monter le col de la Colombière sur le grand plateau.»

Avant de confier : «C'était la photographie d'une grosse déception d'après-Tour. Cela ne m'empêche pas d'avoir des ambitions de victoires. Mais ce qu'il faut, c'est qu'il n'y ait pas d'inégalités. Le MPCC (Mouvement pour un cyclisme crédible, auquel adhère l'équipe Groupama-FDJ) les interdit. Mais soit on interdit pour tout le monde, soit on n'interdit pas. Les différences créent des inégalités.»

«Le père siffleur»

«J'ai toujours roulé avec mon père Josué, ma mère Nadine, ma sœur Hélène, mon oncle, mon grand-père et mes cousins. On formait presque un peloton à nous tous (…) Dans le peloton mon père est surnommé "le père siffleur"Le repère, pour savoir où il se trouve, c'est son sifflement. Quand il siffle, je sais où il est (…). Pourtant, il y a plein de gens qui sifflent ou crient. Mais lui, je le capte direct, du coup je siffle aussi…», écrit le Picard.

«Morgane (sa femme, Ndlr), elle subit toutes mes émotions (…) quand je reviens d'une séance d'entraînement, que j'ai eu de bonnes sensations, que je ne doute pas, c'est génial (…). Par contre, quand tu as des moments de doute, que tu as eu une merde à l'entraînement, de la pluie, que tu as froid, que tu n'arrives pas à te réchauffer, que tu restes trois heures sous la douche, que tu t'es loupé sur une course, que tu dois être bien pour la prochaine, elle peut subir un peu le bonhomme ronchon qui rentre. Je fais gaffe quand même.»

Et de confier : «Ce sont des maillons indispensables. Ils ont toujours été là. Mes parents depuis toujours, Morgane, ma femme depuis dix ans. Ce sont des personnes fidèles, peu importe ce que je fais, ils m'aiment pour ce que je suis.»

Sa petite entreprise

«Gran Canaria (décembre 2020), c'est un stage que je fais de mon plein gré, un stage personnel que j'entreprends à mes frais afin de m'entraîner dans les meilleures conditions possibles. Je dis ça parce que les gens pourraient penser que tous nos stages sont pris en charge et organisés par nos équipes. Non, ça ne se passe pas comme ça dans la vraie vie des coureurs cyclistes (…) J'ai un préparateur physique, j'ai un kiné (…) Je me suis entouré de ces gens-là à mes frais, quand d'autres préfèrent s'acheter une console de jeux», écrit Arnaud Démare. Avant d'expliquer : «Une carrière, cela passe tellement vite. La volonté, c'est d'en profiter au maximum, de ne rien laisser passer. Dès les premières années pro, je voulais vraiment ne pas avoir le regret de me dire : ''Si j'avais été un peu plus pro, j'aurais pu gagner ça, ça ou ça…" Je n'ai aucun regret sur ce que j'ai pu effectuer durant ma carrière et l'engagement que j'y ai mis. Je pourrai partir sereinement mais j'ai encore le temps…»

 

Paris-Roubaix, «Ben Hur sur son char 2021 dans le Nord de la France »

«Dimanche soir, après la course, je faisais tout tomber ! Mes mains ne voulaient plus. J'avais l'impression de bien tenir une bouteille d'eau, une cuillère mais non, ça tombait par terre. Pas de cloques, pas de brûlures, mais plus rien qui tenait, la pince ne fonctionnait plus (…) Mine de rien, la boue a amorti un peu le pavé. Disons que c'était plus du patin à glace plutôt que du marteau-piqueur (…) Dès le premier secteur pavé, j'ai pris conscience qu'on vivait une édition historique (…) j'avais l'impression d'être dans un film, de rouler dans un décor de cinéma, quelque chose comme ça. Même pire : d'être dans une émission de télé-réalité où on aurait mis de la boue, de la pluie, des pavés comme du carrelage et où on aurait demandé à 200 mecs de rouler à vélo avec des caméras. Sorte de Koh-Lanta, de jeux du cirque, Ben Hur sur son char 2021 dans le nord de la France, dans le gris et le froid.» 34e d'un Paris-Roubaix automnal, Arnaud Démare fait de la «Reine des classiques» un de ses «rêves les plus fous, avec le titre de champion du monde. Quelque chose qui marque dans le vélo.»

Par Jean-Julien Ezvan pour Le Figaro.