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Guillaume Warmuz : l'entretien avec la Voix du Nord

Gardien emblématique du RC Lens, avec lequel il a été champion en 1998 et disputé deux campagnes de Ligue des champions, « Gus » se raconte dans un livre qui vient de paraître. On a abordé quelques moments clés de sa carrière, en hauts, mais aussi en bas, avec lui.

Ma vie sera ici est un livre foisonnant. On y croise Zinédine Zidane, Didier Deschamps « Titi » Henry, Arsène Wenger, David Seaman et tous les grands noms du RC Lens champion de France 1998 et des premières Ligues des champions comme des supporters, des enfants de l’orphelinat de Douai, dieu aussi. Près de 400 pages où Guillaume Warmuz (53 ans) se raconte, sous la plume d’Alexandre Taillez, à l’origine du projet ; et une seule trame : le football, la vie en ballon rond de « Gus ». Directeur sportif de Mâcon (N2), aumônier auprès de personnes âgées sur son temps libre, il pourrait même se relancer dans le monde pro.

Quand vous vous retournez sur vos 19 ans carrière pro, que reste-t-il ?

« C’est le plus beau métier du monde. Ce qui est le plus difficile à combler, c’est ce moment à 20 h 55 quand on est dans le tunnel et qu’on va rentrer sur le terrain. C’est un moment qui n’appartient qu’à lui-même que tu ne peux pas reproduire dans la vie de tous les jours. Tu as la pression du public, deux équipes, une incertitude, et quelque chose d’émotionnel non maîtrisé, le scénario : tu ne sais pas ce qu’il va se passer. »

Après l’INF Vichy, vous voilà à l’OM, où vous ne disputerez aucun match pro. Racontez-nous cet épisode fondateur avec Jean Tigana...

« J’ai 18 ans, la barbe même pas poussée et Jean Tigana, que j’ai vu jouer à la télé, en face de moi. On prend la douche et il me demande si je veux être pro. " Ouais, bien sûr ". Il me dit « mais tu n’y arriveras pas en fait ». Là, il n’y a plus personne, juste une espèce de flaque. En fait, je n’avais pas mes claquettes. Lui, c’était un pro. J’aurais pu me blesser pieds nus. Je suis tombé dedans à 18 ans, parce que je suis tombé avec les meilleurs de la planète foot qui prenaient tous les détails en compte. Ça a immédiatement changé ma perspective du monde professionnel. Quand tu arrives à 18 ans, claquettes, pas claquettes, tu vas prendre ta douche. Il n’y a plus eu un match ou un entraînement où je ne les avais pas. C’est l’image de ce qu’il faut faire pour être un grand professionnel. »

Que représente le RC Lens (1992 - janvier 2003) dans votre carrière ?

« C’est le plus beau parcours. On arrive, ils viennent de monter, il faut laver nos maillots, apporter nos affaires et quand on part, il y a la Gaillette... C’est dix années de monde professionnel extraordinaires où on fait décoller le club. On est sur le toit de la France. C’est ce qui me rend le plus fier pour le peuple lensois. Et c’est une histoire de vie. Quand je reviens vingt ans après, on a l’impression que je suis toujours joueur. J’ai juste fait mon boulot. »

Vous y avez noué des amitiés fortes aussi...

« Jean-Guy, Vladi (Wallemme et Smicer) surtout, on a des natures identiques, plutôt calmes. Ce sont aussi des générations qui s’entendent, une éducation, toutes ces choses qui s’emboîtent. Et quand tu gagnes un trophée, ça change les choses, à jamais. »

Il y a ce moment dans les vestiaires où Daniel Leclercq vous dit « on va être champions » après une défaite à Nantes 1-0 début janvier 1998. C’est le tournant ?

« Tout au long du parcours, c’est une réussite progressive, bien défendre. On avait failli descendre l’année d’avant. Et Daniel Leclercq arrive avec son idée du 4-3-3 offensif. On se dit entre nous " Dan’, il est bien gentil... " C’est grâce à ça qu’on devient champions, mais il y a eu un laps de temps où il a fallu avaler le système Leclercq. On perd à Nantes, Stéphane Bigeard travaille avec lui (comme consultant) et là, il nous demande à chacun dans le vestiaire si on veut être champion. En termes de com’, tu ne peux pas faire mieux. Il a scellé le pacte pour être champions. C’était une surprise, mais une surprise libératrice. C’est de là que ça part et après on y va. »

Quel est votre meilleur souvenir, ce titre ou la victoire contre Arsenal à Wembley (0-1 en Ligue des champions le 25 novembre 1998) ?

« D’abord le bien commun. Ceux qui étaient là à trois heures du matin quand on a rouvert le stade, la benne tirée par un tracteur en ville, le président (Gervais Martel), tout. Un grand délire. Le plus grand bonheur, c’est ça, avoir mis le peuple lensois sur le toit de la France et avoir été champions en partant de presque rien quelques années avant. D’un point de vue plus personnel, Wembley, c’est le plus beau match de ma carrière de gardien de but, le sommet. J’ai dû faire des arrêts plus difficiles. Il y en a un ou deux qui sont beaux, mais c’est le match parfait dans le lieu parfait. On ne prend pas de but. Il y avait 8000 supporters, on avait pris notre temps, avec Vladi, je rentre en dernier, comme d’hab’, et là, plus personne, juste David Seaman (le gardien anglais) qui attend quelqu’un, moi en fait. Il me dit que si on a gagné c’est grâce à moi et me demande d’échanger le maillot. On se rend compte du truc, c’est complètement mythique, waouh ! »

Vous êtes en revanche « dévasté » en 2002 quand Lens termine vice-champion. C’est votre plus grande déception ?

«Oui, la plus grosse de ma carrière. Tout se joue en même temps avec mon destin personnel qui arrive après. Après, il y a Porto (Lens perd 3-0 au Portugal et hypothèque ses chances de qualification pour les huitièmes). C’est douloureux, mais ce n’est pas la même chose, pas une déception. Ça, c’est le plus grand regret, c’est un titre qui nous manque. Un deuxième titre qui est à moi et que je n’ai pas. »

Vous faites porter une grande part de responsabilité à l’entraîneur, Joël Muller, qui avait notamment « balayé d’un revers de main » votre proposition d’une mise au vert en Bourgogne avant le dernier match contre l’OL. Vous dormez à Lyon, êtes réveillés en pleine nuit par des supporters adverses, défaite 3-1, pas de titre...

« Ce n’est pas une part, pour moi il est responsable de ça. C’est la réalité qui m’amène à quitter Lens. Je n’ai pas voulu raconter tout ça avant, et j’ai même longuement réfléchi encore avant de l’écrire. Mais aujourd’hui, il y a deux aspects : celui personnel de blessure qui est effacé désormais. Je me suis remis, j’ai continué ma carrière. Mais il y a ce que chacun a dans son dû. Muller, il a perdu à Metz et il a perdu à Lens. Et si j’en suis là aujourd’hui avec un titre en moins, c’est de sa faute à lui. Il a reproduit le même schéma qu’à Metz, il n’a pas su se réformer, point barre. En même temps, je n’aurais pas dû glisser non plus sur le but de Govou, j’ai dit que j’étais le premier responsable. Mais il faut dire les choses. »

Pour vous, ce refus a marqué une rupture dans la course au titre ?

« Ça faisait déjà un petit moment que j’étais allé le voir pour lui dire qu’il fallait qu’on change des choses. On n’avançait pas, on fait 0-0 contre Troyes, à Bastia, le trouillomètre arrive, ça ne sentait pas bon. On l’avait vécu en 98, je voyais bien tout ce qu’il ne fallait pas faire. Mais je n’ai pas de rancune. À l’époque, on est blessé, la famille, mes proches, c’était très dur pour moi, je ne pensais pas que j’allais vivre ça. Avec le temps, c’est beaucoup mieux de dire posément, sans rancune, qui sont les responsables moi le premier, parce que je glisse, mais pas que moi. Joël Muller porte en lui les deux titres qu’il a loupés à Lens et à Metz. »

Ce sont pour vous les prémisses de Porto, votre dernier match avec Lens en seizièmes de finale de la Coupe de l’UEFA où vous accumulez les erreurs et ne voulez pas reprendre après la mi-temps (2-0)...

« Depuis cette histoire de mise au vert, c’est une lente descente, une déliquescence. Ça va loin, il y a l’idée d’éliminer les anciens et moi le premier. À Marseille, je commence à ne pas être bon, et même un peu avant, le Bayern. Et Porto, je n’ai jamais fait des erreurs pareilles, grossières dans ma carrière, et c’est parce que j’étais dans cet état-là. C’est moi qui ne peux plus supporter, c’est à moi de m’en aller. Je veux sortir, ne plus retourner sur le terrain, c’est « Siko » (Eric Sikora) qui vient me chercher pour que je joue la deuxième mi-temps. Je le fais parce que c’est lui. Derrière, c’est la nuit du calvaire. Je voulais encore me battre, mais finalement la raison a parlé : tout le monde te dit de faire une pause, fais-la. »

Vous quittez finalement le RC Lens en janvier pour Arsenal, six mois en forme de thérapie dites-vous...

« On s’entraîne tout seuls à Lens avec Dédé Lannoy et je signe à Arsenal. C’est curieux, la vie. L’Équipe titrera " Si ça n’est pas une promotion, ça y ressemble "… Tout ce qu’on avait voulu me faire endosser, dire que j’étais fini, c’est un peu le contraire qui se passe avec le plus grand club d’Europe qui t’appelle. Arsenal, c’est la thérapie post-traumatique, c’est un vrai regret. Arsène (Wenger) pense que je suis le "Gus" de Wembley. Je joue, j’en prends trois avec la réserve à Bolton, l’entraîneur me sort à la mi-temps… Je n’arrive pas à jouer, ça ne m’était jamais arrivé. C’est paradoxal parce qu’à l’entraînement, je m’éclatais comme un dingue, grâce à Stuart Taylor, David Seaman, Bob Wilson, aux Français aussi, il y avait une super ambiance. Mais j’étais traumatisé. J’ai mis du temps à me remettre de ce match. »

Vous rebondissez, jouez à Dortmund, puis Monaco. Vous arrêtez votre carrière après une nouvelle blessure au genou. Comment vivez-vous ce moment ?

« Je sais que je suis blessé, qu’il faut revenir, que ça va être difficile, mais il y a autre chose dans ma vie personnelle,. Je suis attiré vers la fin. Je regarde les matchs que j’ai joués, je consommais un nombre d’osthéos, de kinés, il fallait pratiquement me mettre sous assistance (rires). J’en avais marre des déplacements, les entraînements, ça commençait à être dur. Je reviens, mais les clubs que j’ai eus après, Nancy, Saint-Etienne jouent le maintien. Je n’ai plus envie. J’ai joué à Arsenal, Dortmund, Monaco, aller jouer une ou deux années de plus. Stop. »

Par Sandrine Arrestier pour La Voix du Nord.