Sport Culture
Lifestyle et Business

NEWSLETTER

Guy Roux au Point - Neymar coûte le double de ce que l'on croit

L’entraîneur mythique reste un invétéré passionné du ballon rond, et l’exprime dans « Confidences », un livre attachant, qui paraît cette semaine. Il est des hommes qu'on ne se lasse jamais de lire ou d'écouter. Entretien.

Au moment d'ouvrir le nouveau livre de Guy Roux (Confidences, à paraître le 19 mai chez Talent Sport), on se disait qu'on en savait déjà beaucoup sur le bâtisseur de l'A.J. Auxerre et son histoire de jeune amateur qui fait gravir les échelons d'un club de campagne jusqu'en demi-finale de Coupe d'Europe. Mais il suffit de se plonger cinq minutes dans ses Confidences pour savoir qu'on ne lâchera pas l'ouvrage sans l'avoir terminé. À 82 ans, Guy Roux est toujours passionnant, parce qu'il est lui-même passionné. Le football, le bon vin, les médias et la politique sont des sujets qu'il maîtrise au point de ne jamais s'en lasser. Entre deux anecdotes inédites, l'ex-entraîneur de l'AJA n'hésite pas non plus à dire ses vérités sur l'état du football français ni à critiquer la gestion de la FFF, « où il y a plus de monde dans les bureaux que sur les terrains ». Alors que le contexte sanitaire d'interviews en « visio » nous a empêchés de goûter l'incontournable chablis invariablement proposé à ses invités, le Bourguignon raconte ses souvenirs de la pandémie de grippe asiatique en 1957. Alors qu'il occupait un poste de surveillant dans un centre d'apprentissage à Montmorillon, tous les pensionnaires de l'établissement avaient contracté la grippe asiatique. « Tous les élèves ont eu de la fièvre d'un coup, ainsi que le principal, l'infirmière et les cuisiniers. Le préfet nous a envoyé un escadron militaire avec une roulante, comme à la guerre, où la cuisine était faite dans la cour pour apporter des marmites de soupe aux garçons couchés avec des fièvres terribles, dans des conditions d'hygiène qui l'étaient tout autant. Je leur apportais à manger et je fendais du bois pour chauffer leurs chambres, car, bizarrement, je n'avais pas été touché par le virus. Le professeur de gym, le médecin et moi faisions tous les matins un footing de 10 kilomètres dans la lande, nous prenions chacun un Vitascorbol et une aspirine, et nous sommes les trois seuls à ne pas être tombés malades. Nous devions avoir fait des anticorps assez puissants et avons échappé à cette grippe. » Dans ses Confidences, Guy Roux encourage aussi les Français à se faire vacciner, comme lui, contre le Covid-19.

À 82 ans, êtes-vous toujours autant passionné par le football ?

Oui ! Je satisfais beaucoup plus vite et beaucoup plus facilement mon goût du foot que quand je n'avais qu'un match de DH à me mettre sous la dent et que la télévision n'existait pas. Il m'arrive d'être à la limite de l'overdose, qui se situe entre sept et dix matchs par semaine. Si je vais au stade et qu'une équipe d'enfants de six ans s'entraîne, je m'arrête et je les regarde attentivement. Quand j'étais en Argentine à la Coupe du monde [1978] avec Stéphane Kovacs, l'ancien entraîneur de l'équipe de France, on était passés près d'un stade boueux où un instituteur faisait jouer ses élèves. Il faisait froid, et il m'a dit : Restons, il a peut-être un exercice qu'on ne connaît pas et qui va nous faire gagner le prochain match ! Et on a regardé tout l'entraînement, on s'est passionnés pour ces gamins qui n'étaient même pas des joueurs de foot.

Vous souffrez toujours avec l'A.J. Auxerre ?

Je suis toujours dans l'association. On s'occupe de 400 enfants qui jouent au foot. C'est passionnant et ça ne remue pas le cœur. En revanche, les matchs de l'équipe première, si je ne me préparais pas psychologiquement, j'aurais déjà eu des arrêts cardiaques en cours de route, notamment la semaine dernière [quelques jours avant notre entretien, l'AJA a raté un pénalty à la 7e minute du temps additionnel, face à Grenoble].

Quelles sont les équipes qui vous procurent du plaisir quand vous les regardez jouer ?

 

Ça varie. Pendant 2-3 mois, j'ai beaucoup aimé l'équipe de Brest, qui jouait bien offensivement, jusqu'à s'épuiser et être ensuite en danger. J'ai beaucoup aimé Nice dans la meilleure période de son jeu. Ils ont beaucoup de joueurs qui ont moins de 23 ans, notamment Amine Gouiri qui vient de Lyon. Dans l'absolu, personne ne peut faire aussi bien qu'un PSG en pleine possession de ses moyens. Mais c'est très parcimonieux ! J'aime la rigueur défensive de Lille. Ce n'est pas un plaisir d'esthète, mais c'est un plaisir d'entraîneur. Défense stricte, organisée, du sang-froid. Le bon Monaco, quand il se lâche, arrive à attaquer très brillamment.

Et en Europe ?

Le bon Real Madrid avec Benzema me procure beaucoup de plaisir. Le Bayern Munich de cet hiver, quand il dominait le football européen et nous donnait l'occasion de voir des bons matchs quand on était enfermés dans la salle de séjour sans avoir le droit de sortir à plus d'un kilomètre. J'aime moins Barcelone. Barcelone, c'est Messi. Le jour où il est bon, c'est bien ; sinon, c'est moyen.

"Cette année, les discothèques sont fermées, c’est déjà ça ! Mais ça n’empêche pas les réunions privées…"

Comment jugez-vous les échecs du PSG cette saison – éliminé de Ligue des Champions en demi-finale - et en mauvaise posture en Ligue 1 ?

Le PSG est à un croisement des chemins. Le premier grand PSG des Qataris fait par Leonardo s'est épuisé, certains sont partis. Le renouvellement de l'effectif est en train de se faire, mais ils n'ont pas trouvé des joueurs égaux à ceux qui sont partis. Ils ont changé d'entraîneur en cours de route. On n'a pas encore mesuré le pouvoir de Pochettino. On suppose que ça va être bien, mais le football est un marathon. Il a les capacités, encore faut-il maintenant que nous le voyions le faire.

Quand vous étiez entraîneur, vous écriviez sur le tableau du vestiaire votre principe de base : « Entraînement + repos = forme ». Est-ce qu'il manque ça au PSG ? À Neymar ?

Cette année, les discothèques sont fermées, c'est déjà ça ! Mais ça n'empêche pas les réunions privées… Je vais seulement juger le résultat. Neymar est très souvent blessé, il joue seulement la moitié des matchs. Dit autrement, il coûte le double de ce qu'on croit qu'il coûte ! Quand on a lu dans la presse que les joueurs portaient des GPS, j'ai pensé que c'était pour les suivre dans les boîtes la nuit pour savoir où ils étaient ! Neymar a tellement de facilités qu'il peut arriver à être bon – mais pas sensationnel – sans faire tous les efforts nécessaires.

Si vous étiez entraîneur du PSG, que diriez-vous à Neymar ?

Premièrement, il faut être bien avec lui. Sinon, c'est fichu. Vous ne pouvez pas manager un homme avec qui vous êtes en conflit. Ça n'existe pas. Tous les entraîneurs sont obligés de lui faire des concessions, ce qui crée un déséquilibre dans le reste du groupe. Mais c'est comme ça dans toutes les équipes. Bordeaux a fait des concessions à Ben Arfa, ça ne marche pas trop bien. Chaque entraîneur a ce problème. Quand j'étais en Division d'Honneur, j'étais obligé de faire des concessions au meilleur joueur ! Dans la collectivité, le meilleur est toujours protégé. À une certaine époque, j'ai vendu des assurances-vie. Nous étions plusieurs collègues. Imaginez celui qui n'est pas très sérieux mais qui fait deux fois plus de contrats que les autres, on lui pardonne de ne pas se lever de bonne heure. Celui qui n'a pas tous les dons doit travailler plus. Mais quand on rencontre des gens aussi talentueux, mais plus sérieux, on perd.

Dans votre livre, vous êtes très critique avec la Fédération française de football. Vous dites que l'équipe de France va très bien, mais que le football français ne va pas bien du tout. Pourquoi ?

Je donne les chiffres : en 1998, la population française était de 59 millions, elle est aujourd'hui de 67 millions. Cela fait plus de 10 % d'augmentation. Nombre de jeunes footballeurs en 1998 : 2 millions. Aujourd'hui, c'est encore 2 millions, en comptant les filles ! Autrement dit, en proportion de la population française, il y a moins de jeunes garçons qui jouent au football. C'est un calcul désastreux. Dans un jeu aussi attrayant, avec le nombre de terrains synthétiques qu'on a construits, la possibilité d'avoir des ballons pas chers… Si on a moins de footballeurs, c'est qu'on s'y est mal pris. Il y a aussi une loi nuisible et défendue par des privilégiés : l'article 98 des règlements généraux interdit aux garçons de moins de 15 ans d'aller à moins de 100 kilomètres de chez eux ou de ne pas quitter leur département. Résultat, Paris, 12 millions d'habitants, les jeunes talentueux ne peuvent pas venir à 150 kilomètres à Auxerre, ou Troyes, au milieu des prés, des vaches et des cochons. L'apprentissage, ce n'est pas après 15 ans, c'est avant. Imaginons qu'on commence les lycées en seconde, on n'arriverait pas à donner le même enseignement que quand on débute en sixième.

Vous dites qu'il y a plus de monde dans les bureaux que sur les terrains…

À la Fédération, il y a 350 salariés. À une près, ils organisent les mêmes épreuves qu'en 1998, quand ils étaient 80 salariés. Il faudrait m'expliquer ! Alors qu'il y a l'informatique et le digital. Il paraît que le digital, ça va plus vite qu'un stylo-bille pour faire des multiplications. Alors pourquoi y a-t-il trois fois plus de monde ?

À propos du management des joueurs, vous écrivez : « On doit être implacable, neutre par rapport à ses sentiments personnels. C'est de la realpolitik, on ne fait pas une équipe des plus sympathiques mais une équipe capable de gagner. » Comprenez-vous la décision de Didier Deschamps de ne pas sélectionner Karim Benzema alors qu'il réalise encore une saison exceptionnelle ?

Je ne crois pas qu'il s'agisse de sentiments personnels. Il s'agit d'événements fortuits, indépendants de Benzema et de Didier Deschamps. Cela a mis Deschamps en position d'être très fâché, et depuis il n'en démord pas. Il y a eu quelques maladresses. Il y a eu un sondage, mais c'est comme si on avait fait un sondage sur l'immigration ! Deschamps s'est trouvé emprisonné. Ce n'est pas une inimitié puisqu'il l'avait abondamment sélectionné. Benzema a 81 sélections.

Vous avez connu des joueurs à fort tempérament. Comment faisiez-vous pour manager Éric Cantona ?

Il fallait un mouchoir… Pour éponger ma sueur ! Il était un adolescent extrêmement turbulent, mais avec un bon fond. S'il avait été une fripouille, on ne l'aurait pas gardé deux semaines. Il a une moralité. C'est le petit-fils d'un maçon italien venu en France car c'était dur en Italie, il a des parents et des frères d'une rectitude totale. Mais il était capable de chahuts mémorables, dépassant le cadre du chahut. À 14 ans, avant un repas, ils ont fait une course sur les tables ! Bon, il a fallu digérer ça et faire l'entraînement comme si de rien n'était.

"La superleague, c’est l’expression d’un vice collectif, d’un crime en bande organisée contre la morale universelle."

Vous dites que la jeunesse d'aujourd'hui n'a pas changé, que c'est simplement le monde qui a évolué. Pourriez-vous toujours diriger des jeunes de 20 ans aujourd'hui ?

Oui, je le pense. J'ai commencé à entraîner en 1961, j'avais 21 ans et demi. Certains de mes joueurs avaient 31 ans, des pères de famille, des ouvriers qui travaillaient 51 heures par semaine, la 52e payée en heure supplémentaire, et je leur faisais faire 8 kilomètres de footing le soir. Soixante ans plus tard, c'est une très lente évolution de la société. La jeunesse a subi une transformation lente, comme la société. De même que je me suis adapté très partiellement à l'électronique – je sais allumer mon poste de télévision, ce que je ne savais pas faire en 1961. L'homme n'a pas changé. Le gamin de Rome en l'an 50 avant J.-C. et celui d'aujourd'hui ne sont sans doute pas très différents.

Avez-vous été choqué par le projet mort-né de la Super League?

Extrêmement choqué. C'est l'expression d'un vice collectif, d'un crime en bande organisée contre la morale universelle. Vous allez me dire, elle est déjà déformée, mais non. La morale universelle, c'est que Chambly puisse jouer en Division Honneur et cinq ans après en deuxième division. C'est qu'Auxerre – je prêche pour ma paroisse ! – puisse faire 20 ans en DH et jouer une demi-finale de Coupe d'Europe avec les mêmes hommes, les mêmes structures, des nouveaux gamins – peut-être les enfants des premiers. Seulement s'ils le méritent ! S'ils ont réussi à éliminer les autres. Et pas parce qu'ils sont intégrés d'office par le syndicat des plus riches.

Pensez-vous qu'ils finiront par y arriver ?

Je crains que le vice l'emporte sur la vertu, que le diable l'emporte sur le Bon Dieu. Je crains que cette bande de fripons n'y arrive. L'excuse, c'est la pandémie. Elle appauvrit tout le monde ! Le football va être appauvri. À l'A.J. Auxerre, nos 400 gamins sont malheureux parce qu'ils ne jouent pas. Et on ne sait pas si ce virus va être vaincu, si on pourra rassembler des foules sans qu'il y en ait un quart de malades et un huitième de morts la semaine suivante. Nous devons être courageux. Que le Real Madrid ou Barcelone aient un milliard de dettes, tant pis pour eux… Je connais des gens dans ma rue qui ont 1 000 euros de dettes à la fin du mois et leur banquier ne veut pas leur avancer. Les plus riches, tant pis ! Les clubs français ont cru au père Noël alors qu'il suffisait de faire une multiplication – le prix de l'abonnement à Téléfoot multiplié par le nombre d'abonnés possible – pour comprendre que c'était une escroquerie. Il va peut-être falloir payer moitié moins les joueurs. Mais faire une association de malfaiteurs qui va capter toute la population télévisuelle du monde et en priver les autres, ça ne doit pas exister.

Quand vous repensez à votre carrière d'entraîneur, quel est votre plus grand regret ? Ne pas avoir gagné la Coupe d'Europe avec Auxerre ? Ne pas avoir entraîné l'équipe de France ?

Je n'ai pas de regret pour l'équipe de France, car on me l'a proposé deux fois. Après la Bulgarie en 1993, les présidents de clubs voulaient que je prenne le poste car ils se disaient que sans moi, Auxerre ne leur piquerait plus leur place en Coupe d'Europe. J'ai refusé car je sentais que j'aurais une bonne équipe, et j'ai fait le doublé en 1996. On me l'a proposé à nouveau après Aimé Jacquet. Mon président a refusé car j'étais sous contrat. Je n'ai pas été content, car je pensais qu'on aurait dû me laisser vivre ça. Je regrette amèrement d'avoir perdu la coupe UEFA lors de ma dernière année d'entraîneur, en quarts de finale contre le CSKA Moscou.

Vous vous décrivez comme un « politologue amateur ». Vous racontez qu'en 2018, vous avez voyagé dans l'avion privé d'Emmanuel Macron pour vous rendre en Russie et assister à la Coupe du monde, et que vous avez débattu de ses récentes mesures.

Nous étions une douzaine dans l'avion. Un colonel tenait dans ses mains la valise de la bombe atomique ! Le président s'est assis en face de moi et j'en ai été flatté. Sans faire de politique, c'est un homme intelligent et sympathique. Une de ses dernières décisions me concernait. L'augmentation de la CSG pour les retraités. Je lui ai dit que j'avais les moyens d'encaisser sa réforme et que j'étais d'accord pour payer cet impôt supplémentaire si la France en avait besoin, mais qu'il aurait dû mettre la faucheuse un peu plus haut pour que ceux qui peinent ne soient pas obligés de payer. Ce n'est sans doute pas moi qui ai fait changer les choses, mais quelques mois plus tard, c'était modifié.

La politique vous passionne ?

Oui, absolument. À l'école, l'histoire et la géographie m'ont passionné. Les livres imagés de l'école primaire, les Gaulois, les Romains, les Francs, les Barbares puis l'histoire récente. Je lis encore beaucoup. Cette semaine, tous les sujets de commémoration sur la mort de Napoléon et l'avènement de Monsieur Mitterrand m'ont beaucoup intéressé. C'est la vie des hommes qui nous ont précédés. La politique, c'est la vie des hommes qui sont à côté de nous et qui la font.

Vous connaissez bien les hommes politiques puisque vous entraînez l'équipe de l'Assemblée nationale. Parmi tous ceux que vous avez entraînés, qui sont les meilleurs footballeurs ?

François Baroin et Renaud Muselier ont été mes meilleurs avant-centres. Plus jeune, Monsieur Baroin aurait pu jouer en CFA. Manuel Valls est très vif, habile, intelligent dans son jeu. Patrick Braouezec était un très bon gardien de but. J'ai aussi entraîné Olivier Véran qui jouait à l'aile. Éric Woerth, lui, quittait l'Assemblée nationale pour venir jouer, il me prévenait toujours qu'il ne disputerait qu'une seulement mi-temps avant de repartir en commission des Finances. Je me souviens d'un match contre le Variétés Club de France, au Parc des princes. Nicolas Sarkozy était ministre de l'Intérieur. Quelque temps avant, Yannick Noah avait dit : « Si Sarkozy est élu président, je quitte la France. » Noah jouait dans l'équipe du Variété alors que Sarkozy était excusé. Finalement, il est arrivé à la mi-temps. J'ai donc prévenu Yannick Noah qui est allé se cacher aux toilettes pour ne pas le voir !

Par Thibaut Geffrotin.