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Iuliia Mendel : l'entretien avec Vanity Fair

Iuliia Mendel est journaliste. Pendant deux ans, elle a été la porte-parole du tout juste élu président ukrainien Volodymyr Zelensky. Elle revient pour Vanity Fair sur cette année de guerre en Ukraine. 

Avec ses boucles d'oreilles dorées, son pull à col roulé vert, dans son bureau depuis son appartement de Kiev, Iuliia Mendel semble détendue. Jusqu'à ce qu'elle s'arrête en pleine phrase, visiblement perturbée : « Il y a des bruits de tirs dans la rue. C'est bizarre. » Elle saisit son téléphone, vérifie en deux temps, trois mouvements l'état de la situation. « Ah, c'est au Bélarus… continuons, je jetterai un oeil. » En une fraction de seconde, la réalité de la guerre en Ukraine fait irruption dans une conversation Zoom. La journaliste ukrainienne vient de publier Le Combat de nos vies (Talent Éditions), un livre dans lequel elle raconte ses deux années passées en tant que porte-parole du tout juste élu président ukrainien Volodymyr Zelensky, entre 2019 et 2021, ses expériences professionnelles mais aussi son attachement à la lutte contre la désinformation qui, depuis des années, empoisonne le quotidien. 

Si elle s'attaque dans son livre à des sujets complexes, la très banale question « Comment allez-vous ? » est loin d'être évidente pour la jeune femme : « C'est très difficile d'y répondre ces 12 derniers mois. Comme pour tous les Ukrainiens, c’est très difficile de dire “Je vais bien”. Il y avait des sirènes à l’instant, il faut s’attendre à tout. Je suis juste triste pour l’Ukraine. » Professionnelle de l'information et de la communication, elle a eu pour premier réflexe d'allumer la télévision, le 24 février 2022. Sur ses écrans, elle affiche des chaînes d'informations ukrainiennes et russes, et CNN. « Toutes donnaient des informations différentes. Sur Twitter, tellement de trolls partageaient de la propagande russe, de la propagande visant l’Ukraine, cherchant à semer la peur et déstabiliser le pays. Je n’avais plus d’emploi, je ne savais pas si j’allais survivre au lendemain. » Sa première réaction : écrire ce qu'elle voit, ce qu'elle ressent, pour briser les fausses informations, rectifier la vérité dans une ambiance effrayante. « J’ai essayé de décrire ce que je vivais sur Twitter, ce que mes parents qui vivent dans l’est du pays me racontaient, les sirènes, les explosions, les destructions, les morts, les chars… » De ses tweets découlent des interviews puis une chronique régulière dans le Washington Post

« Le président Zelensky de 2019 n’est pas le même qu’en 2022 »

Quand la guerre a éclaté, il y a un an, Iuliia Mendel sortait de deux ans au coeur du pouvoir, au plus près de Volodymyr Zelensky, comique élu à la plus haute fonction du pays. Avant de postuler dans son administration, elle l'avait interviewé une fois aux côtés de journalistes internationaux pendant la campagne présidentielle : « Il m’avait donné une meilleure impression que d’autres candidats que j’avais interrogés mais cela se voyait qu’il n’était pas un politicien professionnel. » Elle l'a vu changer et apprivoiser son nouveau rôle : « Le président Zelensky de 2019 n’est pas la même personne qu’en 2022. Il a beaucoup appris. Il a été très sous-estimé en raison de sa carrière de comique mais quand on travaille avec lui, on comprend que c’est une personne très sérieuse, qui a tout changé de sa vie. Il ne comptait pas tout prendre à la légère, il assistait à toutes les réunions, posait des questions, rencontrait beaucoup de monde. Avec le temps, on comprend que l’image qu’il renvoie est très différente de ce qu’il est. »

« Lors d'un entretien d'embauche, on m’a demandé pourquoi je voulais ce job, se souvient-elle. J’ai répondu que si quelqu’un venant d’une famille pauvre pouvait être élu démocratiquement, devenir porte-parole du président en étant une journaliste issue elle aussi d’une famille pauvre était un rêve ukrainien. Tout le monde peut réaliser ses rêves. » Un discours qui a touché Volodymyr Zelensky : « Je crois qu’il a aimé cette réponse et m’a embauchée. »

« Je n’ai pas voulu partir de Kiev en temps de paix »

Mais le mandat de ce novice en politique a été bouleversé par l'invasion russe, huit ans après l'éclatement du conflit meurtrier dans le Donbass : « Quand la guerre a commencé, tout a été bouleversé. Tout ce que nous connaissions, tout ce que nous bâtissions, prévoyions pour notre vie, tout s’est écroulé. » Ses amis américains, prenant au sérieux les alertes du renseignement américain et craignant qu'elle ne soit une cible privilégiée en cas d'arrivée des troupes russes à Kiev, l'incitaient depuis des semaines à quitter la capitale. « Je n’ai pas voulu partir en temps de paix. Nous avions préparé plusieurs scénarios. Nous avions retiré de l’argent liquide, pris des documents, rassemblé des objets de valeur pour être prêts à partir si jamais. Mais en janvier 2022, je voyais tellement de désinformation, notamment sur des chaînes Telegram russes et ukrainiennes qui se moquaient des rumeurs annonçant l’invasion russe... Nous ne voulions pas partir de Kiev jusqu’au dernier moment. Nous ne l’avons quitté que lorsque les troupes russes s’en sont approché au maximum. »

C'est ainsi qu'elle a trouvé refuge, pendant plusieurs mois, à Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine, avant qu'elle ne sillonne le pays pour tenter de venir en aide à ses amis. Son fiancé Pavlo, depuis devenu son mari, a décidé d'aller combattre : « J'ai accepté son choix mais j'en ai pleuré pendant trois jours. Quand il était sur le front et qu’il n’avait pas de réseau, ou quand il en avait mais ne lisait pas le message, ou quand il lisait le message mais n'y répondait pas… » Elle laisse la phrase en suspens, l'émotion toujours vive même si son compagnon est revenu indemne des combats. Une expérience « personnellement très douloureuse » pour elle, que tant qu'Ukrainiennes ont vécu, avec le départ d'un mari, d'un fils, d'un frère au front : « Personne ne mérite l’angoisse, la séparation, la perte de quelqu’un… mais on ne peut rien y faire car cela touche tout le monde. »

« Notre pays n’existe pas que par la guerre »

Avant de lutter aussi activement que possible contre la désinformation, Iuliia Mendel s'était attaquée à la corruption. Un mal qui ronge l'Ukraine, qu'elle n'occulte pas dans Le Combat de nos vies : « Le livre n’est pas à propos de la guerre. C’est à propos de la lutte des Ukrainiens pour vivre dans un pays prospère et en paix. De mon combat personnel, en tant que femme, journaliste, citoyenne contre la corruption, contre l’ingérence russe, pour une vie digne. Notre pays n’existe pas que par la guerre, c’est un pays pacifique, qui n’a jamais menacé ni attaqué quiconque. » 

Iuliia Mendel n'édulcore pas les difficultés traversées par son pays ni son expérience. Elle a vu une émission d'investigation pour laquelle elle travaillait être annulée, les locaux de son média incendiés, elle a été poursuivie en justice : « Quand vous vous attaquez à la corruption, la corruption s’attaque à vous. Tout cela a duré quatre ans. J’ai perdu en première instance le 1er avril 2019, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, quand il était clair que Zelensky avait de fortes chances de l’emporter donc personne ne s'y est intéressé. Mais j’ai gagné en appel et je suis très fière de m’être attaquée à ce sujet, qui concernait la corruption dans les milieux éducatifs. La corruption est terrifiante non pas seulement parce qu’on obtient illégalement de l’argent mais surtout car en quelques années, ça a complètement nui à la qualité de l’enseignement dans le pays.  »

Iuliia Mendel tente de suivre le cours de sa carrière. Elle continue d'écrire pour le Washington Post -« Je suis absolument fière de prêter ma voix à un média aussi respecté »-, et poursuit ses projets journalistiques, avec optimisme et entrain malgré la guerre.