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Jérôme Bergot à la Voix du Nord : "La part du foot nordiste est énorme".

Journaliste à Ouest-France, Jérôme Bergot observe les Bleus depuis 1973 et les suit de près depuis 1992. Dans son livre « Les 1 000 joueurs de l’équipe de France de 1904 à nos jours », sorti en octobre 2021, il passe en revue les 1 052 sélectionnés jusqu’au dernier Euro.

D’où vient l’idée de cette véritable encyclopédie ?

« Jusque-là, on avait toujours présenté la liste des internationaux sous forme alphabétique, ce qui faisait voisiner des gens dont le seul point commun était les initiales du nom. Là, j’ai préféré les mettre par ordre d’entrée en équipe de France, ce qui les classe par génération. Par exemple, Platini est avec Bossis au lieu d’être avec Piantoni. Chaque année, on recense les nouveaux sélectionnés, sous forme chronologique et la présence des uns s’explique par la présence ou l’absence des autres. Mais il y a aussi un index pour retrouver le joueur par son nom. »

Et tout le monde est là, les stars comme les sans-grades…

« J’évoque bien sûr les grands généraux, Kopa, Platini, Zidane, Mbappé, etc. Mais ce qui m’intéressait encore plus, c’était de parler des simples soldats. Ceux dont on n’a pas gardé un grand souvenir, mais qui à un moment ont, eux aussi, été des vedettes des Bleus. Certains n’ont que dix ou quinze sélections mais pourtant, ils ont été importants. Je pense à Jean-Marc Guillou, qui n’a que 19 sélections (3 buts). Aujourd’hui, cela équivaudrait à 50 sélections car à son époque (de 1973 à 1978), il y avait moins de matchs internationaux. C’est un meneur de jeu, un joueur très important des années 1970, sélectionné tard, à presque 28 ans, parce qu’on trouvait qu’il ne défendait pas assez. »

Et vous parlez aussi de ceux restés sur le banc ?

« Oui, ce qui n’avait jamais été fait. Les joueurs à zéro sélection, appelés mais qui n’ont jamais joué, bien qu’étant inscrits sur la feuille de match. Il y en a 132. Le plus célèbre, c’est peut-être Jacques Santini, qui a eu une revanche incroyable puisqu’il a été sélectionneur. Il a été appelé deux fois mais n’a jamais joué, à une époque où tous les Stéphanois étaient sélectionnés et jouaient. Sauf lui. Plusieurs dans son cas l’ont sur le cœur. Jacques Santini m’a raconté qu’il en avait reparlé un jour avec Michel Hidalgo, le sélectionneur qui l’avait appelé. Et lui avait dit : " Michel, tout de même, vous auriez pu me faire jouer quelques minutes… " Hidalgo avait répondu : " Ça n’aurait rien changé… " Quand Santini a été sélectionneur, il a fait attention à ça. Bien sûr que si ça change les choses d’avoir au moins une sélection ! Hidalgo, qui n’a pourtant lui-même qu’une seule sélection (en 1962), ne s’était pas attaché à ça. »

Comment avez-vous procédé pour vos recherches ?

« Avant 1920, c’est parfois difficile de retrouver la trace de certains qui pouvaient jouer sous de faux noms car footballeur c’était mal vu dans certains milieux. À partir de 1975, c’est plus facile car je suis les Bleus de près. C’est un travail à partir d’archives et de témoignages. À noter que le nombre d’internationaux a augmenté avec les remplaçants et l’augmentation du nombre de matchs, autrefois entre un et dix par an, aujourd’hui c’est entre douze et vingt (16 matchs en 2021). »

Et la place du football nordiste ?

« Il y a 63 joueurs pour le Nord (68 avec ceux non entrés en jeu) et c’est énorme ! Juste derrière Paris, largement devant les Bouches du Rhône (42). Pour le Pas-de-Calais, ils sont 37. Chez les Nordistes, le gros du contingent c’est avant 1940, très nombreux très rapidement. Ils viennent de Roubaix, Tourcoing et Lille. »

Et comment explique-t-on cette surreprésentation ?

« À la puissance des clubs nordistes dans la première moitié du XXe siècle. Et à la proximité de Paris. Quand on faisait les sélections, c’était plus facile autrefois de faire venir des gens des régions les plus proches, de la Normandie et du Nord avec les grands clubs de Roubaix et Lille, d’autant que jusqu’en 1940, la France jouait tous les ans contre la Belgique et une année sur deux à Bruxelles. La Belgique est l’adversaire que la France a le plus souvent affronté, de très loin (75 matchs après la Ligue des nations, devant l’Angleterre 41 matchs). »

Qu’est-ce qui vous a marqué au fil de ce travail ?

« On voit qu’il y a une part de chance. Un joueur n’est pas là, on en appelle un autre… Didier Deschamps par exemple. Sans doute que sa carrière aurait décollé autrement. Mais sa première sélection est le fait d’un double coup de chance. Daniel Bravo se blesse. Deschamps, qui est avec l’équipe de France espoirs au Havre, donc pas trop loin de Paris, est appelé. Michel Platini raconte qu’en 1989, pendant France - Yougoslavie, il a choisi au hasard entre Deschamps et Rémi Garde. C’est Deschamps qui est entré… et n’est plus sorti de l’équipe de France. Just Fontaine aussi, qui n’est pas prévu pour la Coupe du monde 1958 en Suède. L’avant-centre titulaire se blesse, il est appelé. Personne ne peut penser qu’il va marquer 13 buts… »

Par Richard Gotte pour La Voix du Nord.