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Jérôme Bergot à Ouest-France : "Aucun ne doit être oublié"

Journaliste à Ouest-France, Jérôme Bergot vient de sortir un livre aux éditions Talent Sport, intitulé Les 1000 joueurs de l’équipe de France, de 1904 à nos jours. Il y détaille les parcours de l’ensemble des footballeurs ayant été appelés en Bleu. Un recensement colossal, témoin de l’évolution et de l’histoire des matches internationaux, de l’équipe de France, du football et même de la France. Entretien.

C’est l’histoire d’une passion viscérale pour l'équipe de France, retranscrite sur des milliers de lignes, au stylo puis au clavier, tout au long d’une vie. La voilà désormais compilée dans un livre de sport. Journaliste à Ouest-France depuis le 1er mai 1989 et spécialiste de l’histoire des Bleus, Jérôme Bergot vient de sortir Les 1000 joueurs de l'équipe de France, de 1904 à nos jours, aux éditions Talent Sport. Dans cet ouvrage, il a recensé les 1 052 joueurs ayant été appelés en équipe nationale. Poste, nombre de sélections, nombre de titularisations, premier et dernier match international, résumé de carrière… Jérôme Bergot dresse un portrait complet de ces mille Bleus. Un travail colossal, et un devoir de mémoire. Entretien.

Ici, ils sont dans l’ordre chronologique, donc contemporains. La seconde nouveauté, c’est que parmi les 1 052 joueurs cités, il y en a 132 qui n’ont aucune sélection. Ils ont été appelés, inscrits sur une feuille de match officiel*, mais n’ont jamais joué. Ces joueurs-là sont cités pour la première fois.

Avez-vous eu peur d’oublier un joueur dans votre travail de recherche ?

Oh oui (sourire). Ce qui m’a pris le plus de temps, ces deux dernières années, a été de vérifier qu’il ne me manquait personne. Et, aujourd’hui encore, je n’ai pas la certitude qu’il y ait tout le monde. Autant, depuis 20 ans, on a des archives très précises et complètes. Mais avant cela, surtout avant la Seconde Guerre mondiale, les données restent très empiriques.

Quelles ont été vos sources ?

J’ai fait pas mal de recherches, notamment dans des livres publiés il y a très longtemps par la Fédération ou par des clubs historiques, comme le Red Star. D’autre part, Internet m’a permis de retrouver plein de petits détails, comme les dates de naissance et de décès des joueurs, informations que j’ai eues le plus de mal à dénicher. Bon, à partir des années 1970, ce sont des joueurs que j’ai vu jouer. Donc je connais leur histoire et leur parcours.

Vous avez toujours recueilli et inscrit ce genre d’informations ?

Oui. Gamin, j’avais déjà des cahiers où je notais les résultats du championnat de France. C’était une période plus sympa où il n’existait pas Internet, où les matches n’étaient pas à la TV, mais à la radio. Ils avaient quasiment tous lieu à la même heure, le soir, entre 20 h et 22 h. Je notais tous les résultats, les buteurs et les classements.

Le suivi méthodique de l’équipe de France est venu par la suite ?

Un peu après, oui, au milieu des années 1980. Ce qu’il faut savoir, c’est que je suis né dans les années 1960. À cette époque, voir l’équipe de France gagner un championnat du monde ou d’Europe, ce n’était même pas un rêve. On peinait déjà à se qualifier pour ces épreuves. Donc, les Bleus jouaient six matches par an, maximum. Ils se rassemblaient en sélections de seize joueurs, jusqu’en 1998. À l’origine, il n’y avait donc pas un volume d’informations énorme à noter. Puis, le nombre de matches et de joueurs sélectionnés a augmenté de manière exponentielle. Entretemps, je me suis pris au jeu et j’ai continué.

« J’ai voulu nommer les grands généraux et les simples soldats »

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

On pense toujours aux vedettes, et, bien sûr, ce livre parle des Kopa, Platini, Zidane… Mais ce qui m’intéressait surtout, c’était tous les autres joueurs, ceux qui sont anonymes, alors qu’ils ne l’étaient peut-être pas à leur époque. J’aime les Yves Mariot ou Yves Triantafilos, ces bons joueurs de championnat qui ont été sélectionnés un jour et n’ont jamais été rappelés par la suite, sans que l’on sache réellement pourquoi.

Estimez-vous avoir un devoir de mémoire dans le football ?

Représenter la France dans un sport est un honneur et une contribution. Tous les gens qui ont évolué en Bleu méritent d’être cités. J’ai voulu nommer les grands généraux et les simples soldats. Ils appartiennent à la même famille et ont le droit à la même place dans ce livre. Je ne veux pas que ces joueurs moins connus tombent dans l’oubli. Aucun ne doit être oublié. Ce livre est un hommage à tous les joueurs de l’équipe de France.

Qu’avez-vous appris par le biais de vos travaux ?

Que le destin joue un rôle très important dans une carrière internationale. Certains joueurs ont fait de très courtes carrières en Bleu alors qu’ils avaient un grand talent. Je pense à Jean-Marc Guillou (milieu de terrain de 1966 à 1983) et ses 19 sélections. D’autres ont eu de longues carrières en Bleu alors qu’ils avaient un talent moindre, comme Sylvain Wiltord et ses 92 capes, qui a su être là au bon moment.

À un moment où il y avait de plus en plus de matches internationaux.

Bien sûr. Un joueur comme Fleury Di Nallo a dix sélections, alors que c’était un joueur extraordinaire. Mais il jouait dans les années 1960 et 1970, et a été blessé au mauvais moment. De nos jours, il serait à 50 sélections. À l’inverse, Kylian Mbappé a 22 ans et compte déjà 50 sélections. À ce rythme, il va finir à 200 sélections. Ces chiffres montrent que le football international a changé.

L’un des buts de ce livre était donc de rétablir une forme de vérité ?

Tout à fait. C’est aussi pour cela que j’ai pris la peine de séparer les sélections comme titulaires et remplaçants. Un joueur qui a 90 sélections, dont la moitié après être entré en jeu, n’a pas la même carrière qu’un cadre qui joue tous les matches.

« Les joueurs d’origine étrangère ont toujours été présents en équipe de France »

Que dit ce livre sur l’évolution du football ?

Plein de choses. Il raconte l’évolution des règlements. Aujourd’hui, on peut jouer pour un autre pays à condition de n’avoir joué que des matches amicaux avec l’équipe première de sa nation d’origine. Quarante ans plus tôt, un joueur comme Carlos Curbelo a été radié de l’équipe de France car il avait joué deux rencontres avec l’équipe juniors d’Uruguay. Ce livre raconte la vie des clubs, aussi, avec la chute de certains, comme le Red Star, qui a fourni de nombreux internationaux pendant des décennies, et végète désormais en National. Il montre l’émergence d’autres, comme le FC Nantes, qui arrive dans les années 1960 et fournit des joueurs jusqu’à la fin des années 1990. D’ailleurs, pendant longtemps, les équipes qui ont dominé le championnat de France ont fourni de nombreux joueurs internationaux. Il y a eu Reims, Saint-Étienne, Marseille. Mais ça s’est moins ressenti avec les dynasties récentes, l’OL et le PSG.

À cause de l’arrêt Bosman, ouvrant le football à une mondialisation sans limites.

Oui. On voit de plus en plus de joueurs provenant de championnats étrangers. Et, au fur et à mesure, c’est devenu un critère pour les sélectionneurs. Dans leur esprit, un joueur qui évolue dans un bon club étranger est davantage prêt à jouer en Bleu qu’un joueur qui évolue dans un bon club français.

Votre ouvrage raconte aussi des pans de l’histoire de la France.

Parfois, oui. Ce livre raconte les deux guerres mondiales. De nombreux internationaux des années 1900-1910 n’étaient plus là en 1918, alors que c’est bien moins le cas après 1945. Ça montre une mobilisation différente de la France lors de ces conflits. Autre exemple : à la fin des années 1960, Rachid Mekhloufi et Mustapha Zitouni, deux cadres des Bleus, rejoignent l’équipe du FLN (Front de libération nationale) afin de lutter pour l’indépendance de l’Algérie.

C’est un sujet qui revient régulièrement : certains s’insurgent contre une équipe de France qu’ils estiment composée d’un trop grand nombre de joueurs aux origines étrangères. Que racontent les nombreuses données de votre livre sur l’histoire de l’immigration de l’équipe de France ?

Les joueurs d’origine étrangère ont toujours été présents en équipe de France. Au début, c’était surtout des joueurs originaires de l’Europe de l’Est, notamment de Pologne. Il y avait aussi des joueurs qui avaient des origines sud-américaines ou algériennes, qu’ils soient pieds-noirs ou arabes, car l’Algérie était alors un département français. Il y a une évolution vers d’autres régions du monde par la suite, mais, dès son origine, l’équipe de France est composée de nombreux horizons.

Par Clément Commolet pour Ouest-France.