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Le football amateur est devenu très violent - Yacine Hamened : entretien avec Ouest-France

Éducateur de football à Cachan, Yacine Hamened est un homme avec de solides revendications. Auteur du livre Les hors-jeu du football français, cet engagé du quotidien, en banlieue parisienne, s’agace de la politique sportive dans le milieu du ballon rond. Pour lui il y a urgence, entre montée de la violence dans le foot amateur, disparition de la notion de plaisir et entourages nocifs.

Yacine Hamened pousse un « coup de gueule » dans son livre, Les hors-jeu du football français (Editions Talent Sport). Ancien responsable de la formation au FC Évian Thonon-Gaillard, où il s’est « fait avoir », enfermé dans la recherche du résultat coûte que coûte, cet ex-joueur de l’échelon CFA2 souhaite apporter une autre vision de ce que peut être le foot amateur, notamment chez les jeunes. Une idée basée sur l’humain, la transmission et surtout le plaisir du jeu.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?

Déjà, c’est l’idée qu’on ne débat pas assez en France. Il y a des choses trop cadrées, trop rigides. L’idée était de dire qu’il y a aussi d’autres points de vue. Est-ce qu’on a le droit aujourd’hui, d’échanger, de débattre et d’essayer d’ouvrir un peu le profil de la formation, de la Fédération et être moins dans l’entre soi ?

Pensez-vous par exemple au débat sur « l’entraîneur français » et les critiques de la part de Pablo Longoria ?

Oui, on voit bien les réactions qu’il y a eues après ses propos. On attaque tout de suite cette personne étrangère au football français et on n’écoute pas ce qu’il dit. On n’essaie pas de creuser, de savoir s’il a raison, on se dit tout de suite « il ne va pas nous donner de leçon, on a gagné la Coupe du monde avec un entraîneur français. Zidane a gagné trois Ligue des Champions », ça fait partie de tout ça.

Cette façon de mettre en avant le résultat plutôt que la méthode, est-ce un problème français ?

Oui. Pour avoir côtoyé de jeunes éducateurs dans d’autres pays, cette démarche est totalement différente. Pour autant, comme je le répète souvent, personne ne joue au foot pour perdre. Eux aussi, cherchent évidemment la victoire. Mais c’est la conséquence de leur travail, de la progression des joueurs, plus que l’objectif. C’est là où on se trompe en France. Quoiqu’il arrive on doit gagner, peu importe la manière. Si on joue bien tant mieux, si on joue mal et que les gamins ne progressent pas, ce n’est pas grave du moment que l’on gagne. Cette façon de penser est à revoir.

Vous dites qu’en France on ne forme pas, mais on fabrique des joueurs.

On voit bien qu’à chaque poste, on a des joueurs très similaires, hormis quelques exceptions. On n’a pas de joueurs différents. On en a au milieu de terrain qui courent beaucoup, on a des joueurs offensifs qui sont capables de faire la différence individuellement, soit par leur technique, soit par leur puissance athlétique, mais ce sont tous les mêmes.

À l’étranger, on pense beaucoup plus collectif. On sait que le football, c’est aussi des associations. Même s’il y a des limites. En Allemagne, ils sont est en train de remettre en question certains éléments de leur formation, parce qu’à force de trop pousser à l’extrême le collectif, les joueurs ne savent plus sortir du cadre. Le problème pour nous, c’est de ne pas écouter et donc de ne jamais évoluer. On continue de former les mêmes joueurs, parce qu’on les exporte, ça rapporte, alors pourquoi changer ? On fabrique des joueurs, comme on fabriquerait un poste de télé standardisé. Du moment qu’il se vend, c’est le principal.

« Dans le foot amateur, l’atmosphère est très néfaste, tournée vers la violence »

Concernant le foot amateur, vous poussez un vrai cri du cœur.

Il y a une atmosphère déjà très néfaste, tournée vers la violence. On est violent avec ses propres enfants, car on veut qu’ils réussissent à tout prix. On est violent envers l’adversaire car il est un ennemi qui empêche de réussir. On est violent avec les éducateurs, avec les arbitres. Avant on allait jouer au foot par plaisir, pour aller avec les copains, aujourd’hui, ils vont au foot comme s’ils allaient au travail.

Vous allez jusqu’à dire que le foot amateur est en train de mourir.

Oui, parce que la fédération ne fait rien pour changer les choses tant que des joueurs arrivent au niveau professionnel et sont vendus. Et il ne faut pas se mentir, financièrement, cela devient de plus en plus compliqué de trouver des budgets, des sponsors. Les clubs professionnels prennent les meilleurs joueurs des meilleurs clubs amateurs, mais ceux-ci aspirent déjà les joueurs des tout petits clubs.

Ces derniers sont rapidement dépourvus de leurs meilleurs éléments car il y a toujours autour d’eux un club qui vampirise. Les petits clubs souffrent donc d’un manque de licenciés, de niveau, de reconnaissance. Ils le paient sur la durée, car en perdant les meilleurs joueurs, vous avez une équipe moins forte, et donc plus personne ne vient chez vous. C’est un engrenage néfaste.

Vous écrivez que « les parents sont une vraie plaie pour les éducateurs ». Est-ce une nouveauté dans les clubs amateurs ?

Ce n’est pas nouveau, mais le problème est beaucoup plus important en termes de nombre. Il y a toujours eu des parents qui rêvaient que leurs enfants soient footballeurs. Aujourd’hui, tous les parents pensent que leurs enfants ont le potentiel. Et ça devient néfaste, parce qu’ils n’acceptent aucune remise en cause. L’éducateur est très vite l’ennemi, si vous rétrogradez un enfant en équipe B par exemple. C’est très compliqué à gérer. On peut comprendre ces comportements d’une certaine façon, dans un sport populaire comme le foot, avec des parents qui entendent des chiffres dans les médias et qui se disent que c’est beaucoup d’argent. C’est certes l’ascenseur social le plus rapide, mais pas le plus simple.

Vous insistez pour retrouver la notion de plaisir dans le football. Comment fait-on pour la retrouver ?

Ça passe évidemment par l’humain. Votre comportement en tant qu’éducateur aura un impact. Si vous êtes dans la critique, le reproche envers un joueur, vous pouvez vous douter qu’il ne va plus avoir de plaisir à venir. Il faut aussi que l’on mette en place des choses pour que le résultat ait moins d’impact. Finalement, qu’est-ce qui fait qu’un éducateur se sent stressé au point d’agresser verbalement des enfants car ils jouent mal ? C’est le résultat. Car très rapidement, il a un impact. Très vite, on est dans des championnats avec montée et descente. Le club perd en image pour recruter des licenciés.

Je pense que les ligues et la Fédération doivent mettre en place des choses jusqu’à 14 ou 15 ans, et où le résultat n’aurait pas d’impact direct. C’est une solution qui existe dans d’autres sports. On pourrait faire des matches en septembre et en octobre, et en fonction de ces résultats, on fait des groupes de niveau. Ils n’auraient pas d’impact car c’est remis à zéro chaque année. Ça permet d’avoir une analyse plus juste, détachée du résultat.

« Je critique car je veux que le football avance »

Vous consacrez un chapitre aux instances (FFF, LFP, DTN), dans lequel vous ne les épargnez pas. Quel est le problème ?

C’est qu’il n’y a pas de débat et que le foot appartient aux anciens joueurs. « Eux savent ». Ça s’est ouvert dans d’autres pays, avec des entraîneurs professionnels dans certains pays qui n’ont pas été joueurs professionnels, comme au Portugal. Et ils ont des résultats. Notre DTN (Hubert Fournier) pense détenir la vérité. Ça s’explique parce que la France a été un des premiers pays au monde à créer les centres de formation, les diplômes d’entraîneur. Beaucoup de pays sont venus s’inspirer du modèle français. Là-dessus, il n’y a aucun problème. Sauf que nous, on est resté sur cette idée de « on était les premiers, les meilleurs, c’est comme ça, acté. » Ces pays ont recopié, mais se sont adaptés à l’évolution du football, à l’évolution du monde et donc ils nous ont dépassés.

On me reproche souvent de critiquer car je ne suis pas dans les instances, car je suis mis de côté, mais non ! Je critique car je veux que le football avance, qu’on ait des moyens très importants en termes d’infrastructures et humains pour faire mieux. Maintenant si on veut se contenter de ce qu’on a… pourquoi pas !

Est-il nécessaire de réguler le foot pro pour améliorer la situation dans le foot amateur ?

Il y a 45 clubs pros, et 15 000 clubs en France ! Sans ce foot amateur, le monde professionnel n’existe pas. Personne ne nous fera croire qu’on aura les meilleurs joueurs avec 45 clubs pros. Ces enfants passent du temps entre 8 et 10 ans dans un petit club, où ils progressent. J’en veux au foot amateur car j’ai l’impression qu’il laisse trop faire. Bien sûr que le foot pro rapportera toujours plus que le foot amateur. Mais celui-ci a un moyen de pression pour dire « on existe ».

Quel est le délai pour intervenir ?

C’est urgent. On se rend compte que beaucoup d’enfants ne s’inscrivent plus au foot. La Fédé trouve des subterfuges pour compenser le manque de licenciés, en intégrant le futsal, le five, le beach-soccer, etc. Les licenciés pour le foot à 11 ont diminué. On profite de temps en temps des résultats de l’équipe de France pour d’un coup accueillir une vague d’enfants et combler un manque, mais ces enfants ne restent pas. Il y a une urgence en termes de bien-être. Il y a plus de deux millions de personnes qui jouent par plaisir, donc si vous vous faites agresser, que des parents de U9 se battent entre eux, c’est qu’il y a urgence. Cette urgence n’est pas assimilée par nos instances.

Vous parlez du manque de licenciés, mais votre livre dépeint une réalité qui ne donne pas envie d’inscrire ses enfants dans les clubs…

Justement ! Avec ce livre, j’ai envie de faire prendre conscience aux gens qu’il y a un côté néfaste qui crée des problèmes. Mais il n’y a pas de fatalité. On a le droit d’évoluer, on peut changer. Il y a des possibilités et des espoirs de changement. Et je peux prendre un exemple très personnel : je suis passionné de foot, éducateur, mais mon fils fait du tennis. Car je ne me voyais pas le mettre au foot.

Concrètement, quelles sont vos solutions pour améliorer la situation ?

Premièrement, c’est au niveau des formations d’entraîneur. Elles ne doivent plus être basées sur les résultats mais sur l’épanouissement, la progression, le plaisir. Et le recul surtout : si vous perdez, ce n’est pas la fin du monde, tout le monde retournera à l’école ou au travail le lundi matin. La deuxième solution, c’est l’ouverture. À force de créer un moule pour les éducateurs et les joueurs, la diversité n’existe plus dans l’approche. Tout le monde fonctionne de la même façon dans ce cas-là. Ensuite, il y a tout ce qui concerne les compétitions. On doit les réaménager pour arrêter avec cette idée qu’un résultat a des conséquences sur une année ou un projet complet. Et sur le futur de votre club en général. On doit également, toujours avec les instances, mettre en place des règles pour qu’un enfant, jusqu’en CM2 par exemple, joue dans le club de sa ville.

La dernière solution est d’évoluer dans la vision qu’on a du sport en France. Je pense que ça passe par les écoles. Puisque l’on est censé avoir des enfants jouant dans leur commune, et donc scolarisé dans leur école primaire, pourquoi ne pas créer des équipes dans les écoles ? Plutôt que de les avoir au club, vous les avez tous une heure dans les écoles. Une heure de 14 à 15 h par exemple, trois fois par semaine, pour qu’il y ait le foot, ou un autre sport, dans le temps scolaire. On doit amener le sport à l’école pour libérer des créneaux. On doit s’en servir comme levier. Quand un enfant a un match le samedi avec le club, un club en rapport avec l’école, et que vous lui dites, « si tu ne fais pas tes devoirs, tu ne joues pas samedi », vous pouvez être sur que la semaine suivante, il saura faire ses devoirs. Évidemment qu’un enfant qui a 3 de moyenne, on ne le fera pas monter à 18 mais si on monte à 9, est-ce qu’on n’a pas déjà gagné ?

 

Par Arthur Sautrel pour Ouest-France.