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John Brennan : l'entretien avec Franceinfo

Poutine, les attentats du 11-Septembre, la mort de Ben Laden : les Mémoires de John Brennan, ancien directeur de la CIA

John Brennan, ancien conseiller antiterroriste de Barack Obama, a dirigé la CIA de 2013 à 2017. Il a travaillé pendant 33 ans dans l'agence américaine de renseignement. Il y était lorsque les tours du World Trade Center se sont effondrées et lorsque Ben Laden a été retrouvé et tué, il se trouvait aux côtés de Barack Obama. Après une longue carrière dans le renseignement, il raconte ce qu'il a vécu au cœur du pouvoir dans Diriger la CIA, mon combat contre le terrorisme (Talent éditions). Il évoque la Russie de Vladimir Poutine, qui a, sans aucun doute, pesé dans l'élection de Donald Trump. Il revient également sur les attentats de 2001.

franceinfo : En tant qu'ancien patron de la CIA, vous êtes formel, Vladimir Poutine a essayé de s'ingérer dans la présidentielle américaine.

 

John Brennan : Je pense que les preuves indiquent assez clairement que les Russes ont utilisé la présence de Donald Trump sur les réseaux sociaux, sur les médias numériques, pour pousser son point de vue sur la façon dont les Américains devaient voter. En 2020, ils ont continué à soutenir Donald Trump et se sont efforcés de dénigrer Joe Biden. Donc oui, le monde du renseignement aux États-Unis peut dire qu’en 2016 et 2020, la Russie de Vladimir Poutine a tenté de peser sur les élections pour le compte de Donald Trump.

Cela signifie-t-il que Joe Biden a raison de se montrer intransigeant vis-à-vis de Moscou et de Vladimir Poutine ?

 

Il doit pouvoir renvoyer à la Russie le fait que ses pratiques sont inacceptables. Il doit pouvoir les dénoncer ouvertement et affirmer qu’elles ne seront plus tolérées sans conséquences. Je crois vraiment que les propos musclés doivent être limités à des cercles restreints, mais les Russes comprennent désormais que Joe Biden est un président très différent de son prédécesseur et qu’ils vont devoir changer de méthode pour traiter avec la nouvelle administration à Washington.

Quand le président Biden est interrogé, on lui demande si Vladimir Poutine est un tueur. Il répond par l'affirmative. En tant qu'ancien patron de la CIA, formuleriez-vous la même réponse ?

Il fait peu de doutes que les services de renseignement russes ont mené des attaques contre des dissidents russes, en utilisant du poison ou par d’autres moyens. Je pense que la réponse de Joe Biden renvoie à des événements où les Russes ont mis en œuvre des actions violentes, comme, notamment, le meurtre de leurs concitoyens [ou d’étrangers]. 

"Vladimir Poutine fera, de mon point de vue, tout ce qu’il faut pour se maintenir au pouvoir. C’est en quelque sorte ce que Joe Biden a dit aux Russes et au monde."

L'une des activités les plus importantes de la CIA ces trente dernières années a été la lutte contre le terrorisme. Vous publiez ce livre quelques mois avant le vingtième anniversaire du 11-Septembre. Où étiez-vous ce jour-là ? Comment vous l'avez perçu ?

Je travaillais au siège de la CIA, où j’occupais un bureau au dernier étage. J’étais alors directeur général adjoint. Quand nous avons entendu que le World Trade Center et le Pentagone étaient attaqués, nous nous sommes d’abord préoccupés de savoir si nous ne serions pas la prochaine cible, sur la base des informations dont nous disposions. Nous avons donc évacué l’immeuble très rapidement. J’ai traversé le bâtiment en frappant aux portes pour dire aux gens de partir. C’était un sentiment étrange que de se demander si j’allais voir un avion se diriger vers moi quand je regardais par la fenêtre ce ciel très bleu de septembre.

Pour vous, l'opération la plus intense, la plus secrète, la mieux planifiée et la plus réussie de votre carrière, c'est le raid contre Oussama Ben Laden, le 2 mai 2011.

À l'époque, j’étais le conseiller antiterroriste de Barack Obama. Depuis des années, la CIA travaillait dur, très dur, pour trouver tout indice qui aurait pu nous mener à la cache de Ben Laden. L’agence nous transmettait tous les renseignements qu’elle collectait. Lorsque la résidence fortifiée d’Abbottabad [Pakistan, ndlr] a été identifiée, sans que l’on puisse confirmer que Ben Laden se trouvait à l’intérieur, le président Obama a dû prendre une décision. Il nous a demandé de proposer des options. Une frappe de missile aurait pu entraîner de lourdes pertes civiles, sans garantie d’éliminer Ben Laden.

Dans les semaines précédant l’assaut, nous avons donc décidé que nous utiliserions les Forces spéciales et des hélicoptères. Il y a eu beaucoup de préparation, d’entraînements et de points à la Maison-Blanche jusqu’à ce jour où nous nous sommes réunis pour suivre les opérations. 

Pourquoi vous avez choisi d'intervenir ce jour-là ?

Nous voulions mener l’assaut [de nuit] par hélicoptères, venus d’Afghanistan vers le Pakistan. Si nous voulions avoir le moins de lumière possible, il fallait tenir compte du cycle lunaire. Tous les 28 jours, nous avions donc une fenêtre de trois jours. À la fin avril, notamment. Attendre 28 jours de plus, c’était prendre le risque de voir Ben Laden quitter le site, parce qu’il y était depuis plusieurs mois et que nous savions que les chefs d’Al-Qaïda se déplaçaient régulièrement pour ne pas être capturés.

Il a donc été décidé que nous ne pouvions plus attendre, même si nous n’avions pas toutes les informations dont nous aurions eu besoin. Le président Obama a dit : "Nous devons y aller maintenant. Il ne doit pas s'échapper."

"L'opération a été menée avec une incroyable dose de précision, de courage et de compétence. Justice était faite pour le cerveau du 11-Septembre. C’était un moment solennel mais absolument pas festif."

Une photo célèbre qui a été prise dans la "situation room" (la salle de crise) de la Maison-Blanche. Vous êtes derrière Barack Obama, le vice-président Biden, la secrétaire d'État Hillary Clinton. Tout le monde fixe des écrans. Que voyez-vous à ce moment-là ?

Nous observons ce qui se passe dans cette résidence fortifiée. En temps réel, comme cela se passe. Nous pouvions voir ce qui se passait, les illuminations, les échanges de tirs, et nous obtenions des points de situation. C’est la raison pour laquelle le visage de la secrétaire d'État Clinton exprime de l’inquiétude. Parce que les plans sont tous adaptés à la situation sur le terrain. Un hélicoptère s’est écrasé sur le site, ce que nous n’avions pas anticipé.

Quand j’ai quitté la Maison-Blanche, bien après minuit, les rues environnantes grouillaient de monde. On entendait les klaxons, les parcs étaient illuminés. Lafayette Park, juste en face de la Maison-Blanche, était rempli de gens qui criaient "USA, USA, CIA, CIA", dans un esprit de fête. C’est là que mes émotions ont pris le dessus. Je crois que ce jour marque la première fois que des larmes ont coulé sur mes joues, parce que je venais juste de réaliser à quel point cet événement était important.