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Jordan Belfort : l'interview avec Les Échos

Le financier américain qui a inspiré le Loup de Wall Street et fait de la prison pour fraude boursière livre un entretien exclusif aux Échos. Dans son ouvrage paru en janvier dernier, il donne divers conseils pour investir en Bourse en évitant les pièges. 

Jordan Belfort, le financier améri-cain dont l’ascension et la chute ont été portées à l’écran par Martin Scorcese dans le Loup de Wall Street est sur la voie de la rédemption depuis sa sortie de prison en 2005. Son dernier ouvrage, Investir, mes secrets pour gagner en Bourse vise à aider les particuliers à mieux gérer leurs finances personnelles. Le loup est désormais le protecteur des « agneaux ».

Pour gagner de l’argent à Wall Street et sur les marchés, il vaut mieux éviter de croiser la route des « loups de Wall Street » (escrocs en col blanc), dont il fut l’un des chefs de meute avant son arrestation pour fraude à la fin des années 1990.

S’il devait commencer aujourd’hui une nouvelle carrière, il ne le ferait pas dans le trading ou les cryptos mais dans la tech. Jordan Belfort va provisoirement laisser de côté l’écriture avant peut-être d’y revenir sous forme de roman, « quelque chose de marrant », a-t-il confié depuis Miami.

Pourquoi avez-vous choisi d’écrire un livre sur l’investissement en Bourse ?

J’ai enseigné aux gens comment réussir en créant des entreprises et en apprenant « l’art de la vente » (Vendre, les secrets de ma méthode) mais l’autre versant est de savoir que faire avec l’argent que vous gagnez et que vous avez économisé ? Comment le faire fructifier de manière à vous permettre de prendre votre retraite un jour avec un pécule géant plutôt que sans rien.

Quels sont les principaux pièges pour les investisseurs particuliers ?

Les courtiers et presque tout ce que Wall Street compte de conseillers financiers essayent de convaincre le grand public qu’il devrait faire du trading à court terme, mais c’est une erreur. Parce qu’ils regardent la télévision, Internet, les médias, les groupes de discussion sur les réseaux sociaux, les particuliers pensent qu’ils disposent de toutes les informations et peuvent donc réussir. Les gens ne prennent pas assez en compte le coût de leurs investissements et son traitement fiscal. Ils ont un mauvais « timing de marché » : ils ont tendance à acheter quand ils devraient vendre et à ven-dre quand ils devraient acheter.

Depuis la crise du Covid, de nombreuses personnes, dont beaucoup jeunes,  se mettent à faire du trading sur des applications téléphoniques comme Robinhood. Pensez-vous que cette tendance va se poursuivre ?

Je pense que ça va être le cas. Il est normal que les gens spéculent, mais je pense qu’ils devraient spéculer avec un petit pourcentage de leur capital – 5 % à 10 % – et investir une part bien plus importante dans des investissements à plus long terme et plus prévisibles. Il est très difficile de résister à la tentation quand vous pouvez si facilement faire du trading depuis votre smart-phone. Les investisseurs particuliers ne devraient pas négocier de produits dérivés ni effectuer de ­ventes à découvert. Les options à très court terme, dites 0DTE, sont très populaires, mais je pense que les personnes qui gagnent de l’argent sont celles qui vendent ces produits, à savoir les firmes de trading. La vente à découvert [spéculation à la baisse, NDLR] coûte cher, car il n’est pas seulement nécessaire d’avoir raison sur la chute d’une action, il faut avoir raison au bon moment. La vente à découvert n’est pas mauvaise en elle-même, mais je pense que pour les professionnels, cela a beaucoup plus de sens que pour le grand public.

Quelle est votre opinion sur les cryptos en tant que classe d’actifs et investissement ?

Le bitcoin est tout à fait légitime et constitue un très bon investissement à long terme. Je ne sais pas où sera son prix à court terme. Je détiens moi-même des bitcoins. Je pense qu’il y a encore beaucoup trop d’arnaques dans ce secteur et je n’ai pas confiance dans la très grande majorité des petites cryptos. Ethereum est également légitime à ce stade. Les escroqueries vont ­continuer dans le secteur – probablement pas toutefois dans les plateformes centralisées – jusqu’à ce qu’il soit réglementé plus étroitement. Lorsque la bulle repartira vraiment, nous assisterons au retour des fraudes, ce n’est qu’une question de temps. Les bulles sont un phénomène récurrent dans la nature humaine. Cela s’est produit en Bourse comme sur le marché immobilier. Il n’y a aucune raison que les cryptos y échappent.

2024 est une année très importante pour les Etats-Unis, avec  des élections au résultat très incertain. Pensez-vous qu’un des deux candidats sera plus bénéfique pour l’économie et Wall Street ?

Il est clair que Donald Trump est de loin le meilleur candidat pour l’économie. Les marchés se sont bien comportés sous Biden, mais c’est vraiment étrange. La Bourse ne se comporte pas selon un schéma mécanique si c’est un président républicain ou démocrate à la ­Maison-Blanche car d’autres ­facteurs entrent en jeu. Je pense que l’économie américaine aura meilleure allure si Trump est élu, ce qui entraînera des gains à long terme pour Wall Street. Robert F. Kennedy, un candidat indépendant, n’a aucune chance d’être ­président à cause du fonctionnement de notre système. Ce sera soit le candidat républicain, soit le démocrate. ­Kennedy pourrait toutefois peser indirectement sur le scrutin en prenant des voix à Biden, ce qui pourrait entraîner l’élection de Trump.

Comment Wall Street pourrait regagner la confiance des investisseurs. Est-elle capable de faire sa propre « révolution » et de se réformer ?

Je ne pense pas que cela se produira de sitôt. Wall Street joue un rôle très important dans l’économie en favorisant la richesse, donc je ne suis pas contre. Je dis simplement que les « règles du jeu » sont perverties et défavorables à l’investisseur moyen. La SEC, la Securities and Exchange Commission [le régulateur des marchés américains, NDLR], a fait du très bon travail, mais le problème réside dans la porosité et le va-et-vient entre Wall Street et la haute administration. Un certain nombre de hauts ­responsables au Congrès, de la Réserve fédérale et du Trésor ­viennent de grandes banques d’investissement comme Goldman Sachs. Un grand nombre de lois adoptées sont favorables à Wall Street.

Pensez-vous que l’éducation peut améliorer  les connaissances financières et être positive pour les investisseurs ?

Je pense que les gens devraient acquérir des connaissances financières bien avant l’université. La finance devrait être enseignée dans les écoles et au lycée. Cela devrait être un élément central du ­programme scolaire des jeunes. De manière assez surprenante pour un pays où les marchés sont si importants, les Etats-Unis n’en font pas du tout assez dans ce domaine. J’ai grandi dans une famille avec deux comptables, mes parents, donc je connaissais très bien la finance.

Quelle est votre opinion sur la France et son économie ?

Je suis en partie français comme mon nom de famille Belfort l’indique. J’ai fait un test ADN et je suis à 50 % ou 60 % de votre pays. Alors, j’aime naturellement la France. Mais je passe beaucoup plus de temps dans le Sud qu’à Paris. Je pense que l’économie française est confrontée à des défis. Votre pays est bien plus socialiste que les Etats-Unis. Je ne pense pas que le socialisme fonctionne. Il n’encourage pas la réussite. Je suis un capitaliste mais je crois qu’il faut un capitalisme responsable. Les Français sont des gens intelligents et qui travaillent dur. Ils ne veulent probablement pas travailler autant que les Américains. La France reste un brillant exemple en Europe occidentale.

Par Nessim Aït-Kacimi pour Les Échos