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La Tribune de Genève : "Les hommes de Poutine en Suisse contre-attaquent"

Un comte, un oligarque et un banquier se sont opposés à la publication en français d’un livre sur Vladimir Poutine. Outre leur fidélité à la Russie, ils sont unis par leur domicile en Suisse. 

Un éditeur parisien a récemment reçu trois courriers. Par trois fois, un homme riche d’un certain âge s’est opposé à la présentation de son propre rôle dans la prise de pouvoir de Vladimir Poutine dans un livre plébiscité que l’éditeur voulait publier en français. Et à trois reprises, les expéditeurs avaient un lien étroit avec la Suisse. «J’ai l’impression d’une action concertée», dit l’éditeur concerné Emmanuel Laureau. 

Le trio lié à la Suisse exigeait des caviardages et des adaptations dans l’édition française du best-seller paru en anglais sous le titre de «Putin’s People: How the KGB Took Back Russia and Then Took On the West». Plusieurs publications, dont «The Economist» et le «Financial Times», ont élu la reconstitution méticuleuse de la journaliste d’investigation britannique Catherine Belton comme livre de l’année. Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le livre a encore gagné en actualité. C’est pour quoi il devait également être publié en français avec comme titre «Les hommes de Poutine: comment le KGB s’est emparé de la Russie avant d’attaquer l’Occident». 

L’ancienne correspondante à Moscou Catherine Belton, aujourd’hui active au «Washington Post», a enquêté pendant des années et mené des interviews – notamment avec des proches de Vladimir Poutine sur les bords du lac Léman. Elle parvient ainsi à retracer en détail la manière dont un homme seul, entouré d’anciens du KGB, a d’abord pris le contrôle de l’État et de l’économie russes, avant de commencer à affaiblir les pays voisins, les États-Unis et l’Europe.  

La Suisse revient souvent dans le livre – non seulement parce qu’elle était et reste importante pour Vladimir Poutine et d’innombrables oligarques en tant que place financière et de négoce de matières premières, mais aussi parce que certains des hommes de Vladimir Poutine s’y sont installés.  

Trois d’entre eux se sont opposés à ce que le livre de Catherine Belton paraisse tel quel en français. La démarche d’un comte richissime ainsi que d’un ancien banquier privé a fait la une des journaux internationaux. «Le Parisien» et la «Frankfur ter Allgemeine Zeitung» en ont parlé. 

S’y est ajoutée une lettre de réclamation d’un oligarque résidant depuis longtemps en Suisse et appartenant au cercle le plus proche de Vladimir Poutine. 

Le conseiller vaudois de Vladimir Poutine 

Tout d’abord, une lettre d’avocat de dix pages est parvenue à la maison d’édition parisienne à la mi-juin. Le comte Serge de Pahlen, d’origine russe, s’y plaint d’une prétendue diffamation, car il est décrit comme «membre du groupe de financiers de Genève» de Vladimir Poutine, proche du KGB et impérialiste. 

 

Cet homme de 77 ans, qui vit à Aubonne, est lui-même éditeur et publie depuis Genève des livres controversés – dont celui d’un écrivain national bolchevique qui a combattu dans le Donbass aux côtés des séparatistes prorusses et qui est aujourd’hui sanctionné par l’UE et la Suisse. Ou un ouvrage d’un prêtre orthodoxe, considéré comme le «confesseur de Vladimir Poutine».  

Catherine Belton a mené plusieurs entretiens avec Serge de Pahlen, qui sont «bien documentés» selon l’auteure. L’ingénieur de l’EPFZ, qui a épousé une héritière de l’empire Fiat, lui aurait alors parlé d’un dîner avec Vladimir Poutine à Paris au dé but des années 2000. Serge de Pahlen aurait alors conseillé au président encore jeune de gouverner pendant trente ans, comme la Grande Catherine.  

Le banquier ne veut pas être un pèlerin 

Le deuxième à se défendre, une semaine seulement après le comte, est le banquier genevois Jean Goutchkoff contre sa présentation prétendument «totalement in exacte et calomnieuse» dans le best-seller de Catherine Belton. Il s’est contenté d’une lettre d’une page signée de sa propre main. 

Comme Serge de Pahlen, Jean Goutchkoff est un descendant des Russes blancs qui ont lutté contre les bolcheviks et qui ont émigré.  

Il a fait carrière dans des banques privées à Genève, où il s’occupait en particulier de clients russes très riches. Selon Catherine Belton, il rêve d’un grand empire slave. Mais Jean Goutchkoff ne veut pas non plus faire partie d’un réseau, même secret, ni passer pour un impérialiste. Il affirme même ne jamais avoir rencontré Vladimir Poutine.  

Catherine Belton décrit pourtant dans son livre que Jean Goutchkoff a accompli des pèlerinages dans un sanctuaire orthodoxe russe avec Vladimir Poutine. Elle cite pour cela des partenaires commerciaux du banquier.

 

Le collègue hockeyeur se défend lui aussi 

Selon le livre, la troisième personne présente lors de l’un de ces voyages communs est celle qui se défend dorénavant: Guennadi Timtchenko.  

Le 12 juillet – à la veille de la publication de l’édition française –, un cabinet d’avocats parisien a rédigé une lettre en sa faveur, dans laquelle il s’oppose à des pas sages jugés «hautement problématiques» et «diffamatoires» concernant son client Guennadi Timtchenko dans le récit de Catherine Belton. 

Guennadi Timtchenko vivait avec sa famille dans la commune genevoise de Cologny, mais n’a désormais plus le droit d’y entrer, car après l’UE, la Suisse l’a égale ment sanctionné. Sur la liste des sanctions, l’homme est décrit comme une «connaissance de longue date» et un «confident» de Vladimir Poutine avec lequel il jouait aussi au hockey. 

À Genève, il a fondé l’entreprise de négoce de matières premières Gunvor. De plus, Guennadi Timtchenko possède des parts de la banque Rossiya, considérée comme la banque personnelle de l’entourage proche de Vladimir Poutine. En 2019, il a financé une partie de la somptueuse fête d’inauguration de l’ambassade suisse à Moscou. En Suisse, il a agi en tant que mécène par le biais de la Fondation Neva, notamment pour le festival de musique classique de Verbier.  

La version française du livre de Catherine Belton est parue il y a deux semaines malgré la contre-attaque des hommes de Vladimir Poutine en Suisse – sans sections expurgées ou modifiées. Selon l’éditeur Emmanuel Laureau, il se vend très bien. 

Des procédures juridiques ont eu lieu à Londres, où l’oligarque le plus connu, Ro man Abramovitch, a porté plainte contre le livre de 592 pages – suite à quoi Catherine Belton a dû édulcorer le passage selon lequel Roman Abramovitch aurait acheté le FC Chelsea sur ordre de Vladimir Poutine. 

Le livre en allemand est déjà sur le marché depuis des mois et figure dans les listes des meilleures ventes – et selon l’éditeur HarperCollins, il n’y a pas eu de problèmes juridiques jusqu’à présent. 

Plusieurs centaines de milliers d’exemplaires ont été vendus dans le monde entier.