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Post Frontière : la chronique dans Libération

Dans un roman noir plein de rebondissements, Maxime Gillio met en scène trois femmes allemandes ballottées par les méandres de l’Histoire et des frontières.

Pas vraiment un roman policier mais un vrai roman noir. Noir comme les croix gammées qui, en cette année 1944, sont en train de vaciller dans toute l’Europe, laissant derrière elles des champs de ruines et de morts. Le prologue du roman débute à cette époque, dans un petit village de Bohême, rattaché au Reich depuis 1938. Le vent de l’Histoire est en train de tourner, l’heure de la vengeance a sonné pour les populations tchécoslovaques qui depuis le début de la guerre se sont fait spolier et humilier par la minorité germanophone. Et même si Anna, simple paysanne dont la famille vit ici depuis des générations, n’a jamais fait de politique, c’est une Allemande, une «Sudète», et elle va devoir quitter sous les crachats sa terre, avec ses deux enfants en bas âge, pour un exil de sang et de larmes à travers les camps russes puis Berlin dévasté.

Anna est la première des trois femmes structurant le récit de Post frontière, dernier roman de Maxime Gillio. La seconde est Inge Oelze, une sexagénaire allemande à la retraite qui a passé sa jeunesse dans la RDA communiste. L’action principale se passant en 2006, les souvenirs de ce pays gris, de la Stasi et du Mur sont toujours bien présents. C’est d’ailleurs pour cette raison que Patricia Sammer, la troisième protagoniste du livre, est venue rencontrer Inge. Journaliste au Tageszeitung, la jeune femme prépare un roman sur les personnes ayant fui l’Allemagne de l’Est dans les années 1960. Grâce aux archives désormais consultables, elle sait que son interlocutrice fait partie de ces «héros» ayant bravé la mort. Mais pas seulement…

Rocambolesque «évasion»

A mesure qu’un dialogue méfiant s’instaure entre les deux femmes, remontent, pêle-mêle, tous les souvenirs de la retraitée. Son enfance ballottée entre familles d’accueil, horreur de la guerre finissante, misère et début de la guerre froide ; ses liens de parenté avec Anna dont le récit de la vie continue à ponctuer l’intrigue ; son engagement dans la RDA de Honecker, la rocambolesque «évasion», puis une fois à l’Ouest, la désillusion et d’autres actions politiques à l’heure où la Fraction armée imaginait renverser dans le sang et la violence le système capitaliste honni : vertigineuse mise en abyme des horreurs commises par les soldats de l’Est ou, quelques années plus tôt, des gardiens de camps (russes, tchécoslovaques ou nazis).

Révélations, fausses confidences, secrets de famille…, le roman (remarquablement documenté sur les périodes décrites) ne ménage pas les surprises. D’autant qu’à mesure que se recompose le douloureux passé d’Inge Oelze, se dessinent les failles et les secrets de la journaliste.

«Quand les frontières bougent, les destins vacillent», écrit en explicit l’auteur qui avec cette quête mémorielle dessine à l’encre noire le tableau d’une Allemagne lézardée, hantée par la violence et toujours victime de ses démons.

Par Fabrice Drouzy dans Libération