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Richard Volange : l'interview avec Le Parisien

C’est sous le pseudo de Richard Volange que cet ex-agent de la DGSE publie ses mémoires. Ses affectations en Afrique racontent les relations troubles entre la France et ses anciennes colonies. Parmi ses faits d’armes, la traque du terroriste Peter Cherif.

Dix ans aux Archives, trois ans à la section Europe, une vingtaine d’années au « secteur N » – le service Afrique – de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), dont quinze sur le terrain, de la Centrafrique au Burundi en passant par la République démocratique du Congo. À partir de 1978, Richard Volange – un nom d’emprunt – a consacré toute sa vie professionnelle à « la boîte », les services du renseignement extérieur français.

Une histoire de famille pour lui dont le père, ancien résistant, a aussi fait sa carrière à la DGSE. La soixantaine venue, son employeur n’a pas souhaité lui confier une dernière mission à l’étranger et il en garde une fieffée rancœur.

De ces activités clandestines, il a conservé des dizaines de photos sur son smartphone – dans un village au nord du Bénin, en 4 x 4 à la frontière de l’Érythrée ou dans le hall d’entrée de la CIA – et des souvenirs, souvent rocambolesques, qu’il a couchés dans un livre intitulé « Espion : 44 ans à la DGSE », en librairie le 11 mai prochain (Talent Éditions, 288 pages).

Vous étiez officier traitant à Paris ou en Afrique durant la guerre des Grands Lacs, la chute de Mobutu au Congo, le génocide au Rwanda, etc. Vous avez été le conseiller du président centrafricain François Bozizé. Bref, vous avez vécu de l’intérieur « la Françafrique ». Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette époque ?

RICHARD VOLANGE. Au début des années 1990, les services faisaient encore la politique interne et extérieure de nos anciennes colonies en Afrique. Le conseiller coopération, rattaché au ministère de la rue Monsieur (Paris VIIe), et le chef de poste de la DGSE avaient souvent plus d’influence que l’ambassadeur lui-même. Les relations entre ces trois-là pouvaient d’ailleurs être tendues. Sur le moment, quand j’avais une trentaine d’années, je ne me posais pas de questions. Je recrutais des sources et je collectais des renseignements. Évidemment qu’on contrôlait tout, on avait des centres d’écoutes dans les pays. C’est bien plus tard que je me suis rendu compte que c’était dégueulasse. Cela a nui à notre image et a participé à ce que la France soit rejetée par la nouvelle génération africaine aujourd’hui.

Vous écrivez : « La France n’a jamais eu de vision pour aider l’Afrique à se développer. » Que vous a dit cette jeune génération d’Africains ?

Ils me disaient : « Écoute, ça a assez duré. On sait bien que ce n’est pas la France qui paye leurs 4 x 4, mais vous soutenez des dirigeants autoritaires et corrompus pour défendre vos propres intérêts. » Au moment de la décolonisation, en 1950-1960, on a dit en gros : « D’accord, vous devenez souverains mais les matières stratégiques, on va continuer à les exploiter. » La plupart des dirigeants africains ont accepté. La France n’a pas su gérer cette décolonisation : seul le politico-militaire comptait, l’aide au développement était caricaturale. Les jeunes générations fatalement nous en ont voulu et se sont tournées vers d’autres pays, notamment la Chine. Voilà, j’ai vécu la fin de la Françafrique, et c’est peut-être pas plus mal.

Comment recrute-t-on une source ?

Il n’existe pas de manuel, c’est de l’humain. Comme disait un chef : « Pas besoin de grandes études, faut savoir prendre un pot. » La première chose à faire est d’identifier une cible par rapport à vos besoins. Si vous voulez des renseignements sur la situation politico-sécuritaire d’un pays, vous allez chercher un cadre de la gendarmerie ou un ponte local de la police. Les analystes, qui sont à Paris et ont une vue d’ensemble, vont vous aider. Ensuite, on s’intéresse à son environnement : sa famille, ses relations, ses amis, son compte Facebook, son téléphone, qui peuvent déjà faire l’objet d’interceptions. A-t-il besoin d’argent ? De visas ? De soins médicaux pour un membre de sa famille ? On prend contact avec lui et on voit dans quel domaine on peut l’aider. Progressivement, on augmente la nature des informations demandées. Une fois qu’une source est fidélisée, on peut avoir un rapport sympathique avec elle. Sauf quand c’est une pourriture. Mais bon, on n’est pas là pour faire de la morale quand on est à la DGSE. Si le lien est fort, une source peut être transmise à un autre officier traitant.

Couverture "Espion, 44 ans à la DGSE"

À l’été 2016, vous arrivez à Djibouti. Sur votre fiche de poste, il y a la capture de Peter Cherif, ce vétéran du djihad passé par l’Irak et proche des frères Kouachi, les terroristes de Charlie Hebdo. Que représente-t-il ?

C’était l’objectif numéro 1. En tant que cadre d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA) au Yémen, il était aussi dans le viseur des États-Unis. Sa traque a fait l’objet d’une coopération tripartite entre nous, les Américains et Djibouti, qui a fonctionné de manière exemplaire. Bien sûr, les Américains avaient une longueur d’avance, à la hauteur de leurs moyens. On savait qu’il était au Yémen et, grâce à ses communications et à l’argent envoyé par la famille de son épouse, on suivait sa trace. On l’avait même repéré dans un dispensaire où j’avais envoyé un de mes officiers djiboutiens faire du repérage à l’aide d’une clé de voiture équipée d’une caméra ! Le but n’était pas de l’abattre, mais de le capturer vivant.

Puis vous apprenez en septembre 2018 que lui et sa famille se trouvent à Djibouti !

Oui, grâce à la CIA, capable de déchiffrer les messageries cryptées. C’est du pain bénit pour nous. On découvre que le couple et ses deux enfants se font passer pour des réfugiés yéménites. Elle a trouvé un emploi d’enseignante et lui de comptable dans une entreprise. Son épouse commet une bourde : elle « like » la page Facebook d’un centre commercial et on réalise qu’elle a adossé son profil à un numéro djiboutien. Grâce à ce numéro, on remonte jusqu’à celui de son mari. L’interpellation de Peter Cherif, le 16 décembre, sera effectuée par le Raid djiboutien. Je l’ai suivie en direct par téléphone et j’ai ressenti un immense soulagement. On a ensuite supervisé ses premiers interrogatoires et son extradition vers la France (Peter Cherif vient d’être renvoyé devant la cour d’assises, tandis que son épouse est décédée d’un cancer). Cela reste le plus beau coup de ma carrière.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

D’abord, c’est une forme de thérapie. J’ai mal vécu la manière dont ça s’est terminé avec la DGSE. Il y a un jeunisme exacerbé, et des histoires de clans. J’étais vu comme un ancien de la Françafrique ; cela ne plaisait pas à certains. C’est toute une génération qui est en train d’être remerciée… sans un merci. Et puis j’ai aussi voulu partager mon expérience, donner des clés pour les jeunes qui ont envie de servir la DGSE aujourd’hui. Je souhaitais « démystifier » le métier d’espion et expliquer les risques, les difficultés par rapport à la vie de famille.

Comment vit-on l’entrée en retraite après avoir été « espion » toute sa vie ?

On fait une dépression et on se fait chier. Heureusement, j’ai deux petits-enfants dont je m’occupe beaucoup avec ma femme.