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Günther Steiner : l'entretien avec Le Figaro

À l'occasion de la sortie de son livre, Surviving to drive, Günther Steiner a profité de son passage à Monaco pour répondre aux questions du Figaro

Le patron de Haas, révélé par la série de Netflix est un personnage plus complexe que son double médiatique. 

"Il a le verbe d'un allemand, la faconde d'un Italien, tout en étant américain. Il a une tête et un comportement qui détonnent dans le paysage un peu lisse de la F1. Ce sport a besoin de ce type de profils." Comme Jean-Louis Moncet, historien de la discipline et consultant sur Canal +, ils sont des millions à apprécier ce personnage. Et même à le reconnaitre dans la rue, et pas seulement dans celles de Monaco, où se déroule le sixième Grand-Prix de la saison, ce dimanche. Günther Steiner, 58 ans, est devenu depuis quatre ans une vedette de la discipline, presque plus populaire que les pilotes qu'il dirige chez Haas. La série sur Netflix, Drive to Survive, notamment la première saison, a mis en lumière cet homme brillant, avenant, parfois colérique, toujours enthousiaste. "C'est assez étrange, car je ne voulais pas cela. Les gens me reconnaissent partout. Il faut faire avec" fait mine de regretter ce natif du Tyrol dans un anglais aux sonorités autrichiennes. 

Günther - il est tellement célèbre qu'on n'a pas besoin de donner son nom - vient de publier son journal de bord de l'année 2022, Surviving to Drive. Un ouvrage à l'image de sa grande gueule : franc, libre, nerveux. Sa saison passée fut un calvaire : elle commence par les conséquences de la guerre en Ukraine (départ d'un sponsor et d'un pilote russe), se poursuit par une monoplace de moins en moins performante (2 points lors des 10 derniers GP) et se termine par une séparation douloureuse (Mick Schumacher). Du stress, des déceptions et une 8ème place constructeur sur 10. Un enfer ? "C'est un travail difficile et les gens le sous-estiment. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Il faut gérer les sponsors, le conseil d'administration, les ingénieurs, les mécaniciens, les pilotes. Mais j'aime faire ce que je fais" rassure celui qui se considère comme un chef d'entreprise. 

Diriger une équipe n'allait pas de soi : Steiner a commencé comme mécanicien pour voitures de route, puis fait une carrière dans le rallye aux côtés du légendaire Carlos Sainz (le père du pilote de F1) et Colin McRae. Les titres de champion du monde lui ouvrent les portes de la F1. D'abord avec Jaguar, où il travaille avec son idole, Niki Lauda. Son exact opposé. On appelait le triple champion du monde autrichien "l'Ordinateur" pour sa précision, sa méthode, sa froideur : Steiner est un ordinateur quantique, puissant, complexe et imprévisible. En 2005, il file chez Red Bull pour lancer le projet : "Je me suis beaucoup amusé en rallye, mais la Formule 1, c'est le sommet. Et c'est une addiction."

Le Steiner sérieux et créateur est la partie la plus intéressante, même si elle est moins "bankable" que le personnage folklorique de Netflix. En 2014, alors que la discipline voit son audience mondiale baisser, il arrive à convaincre l'Américain Gene Haas, patron d'une entreprise spécialisée dans la machine-outil, de s'engager. "Réussir à convaincre Gene Haas de mettre de l'argent et de faire collaborer le constructeur Dallara - plus intéressé par l'Indy-Car - et le motoriste Ferrari - qui a d'autres enjeux -, c'était un sacré bon coup de sa part", souligne Jean-Louis Moncet. En 2016, Haas est la première écurie américaine à s'engager sur la grille de départ depuis trente ans. "On a travaillé dur, et je suis le dernier à avoir créé une écurie à partir de rien", avoue-t-il au Figaro, fier derrière son sourire qui contraste avec le visage (trop) dur sur la murette des stands (ou sur la couverture de son livre). 

Derrière le personnage clownesque, il y a un chef d'équipe exigeant, lucide et courageux. "Se séparer de Mick Schumacher à la fin de la saison dernière, c'était osé. Son père garde une aura dans le monde de la Formule 1, et il n'était pas facile de l'écarter" ajoute Moncet. Steiner l'explique avec franchise et sans filtre dans son livre : il a dû faire face à la pression des sponsors, des entourages, des autres écuries et des médias. Sans parler de celle du pilote allemand, qui ne comprend pas comment il peut être écarté. "C'est difficile de gérer les pilotes. Ils ont des ego, mais l'important c'est qu'ils ne soient pas égoïstes. Cette saison, c'est le cas avec Nico (Hülkenberg) et Kevin (Magnussen), détaille Günther Steiner. Ce sont eux, les gladiateurs qui se battent lors d'une course. J'aime discuter et échanger avec eux. Mais il faut leur dire quand ça ne va pas." Lors de la première saison de la série documentaire Netflix, les spectateurs n'en sont pas revenus : à plusieurs reprises, le patron de l'écurie prend à partie violemment ses pilotes, les traitant d'idiots. Buzz assuré et image créée, mais pas forcément la plus réaliste. 

Même dans les instants les plus difficiles, et il en a connu depuis près de dix ans, le patron de Haas garde le sourire. "Beaucoup de gens en F1 se prennent trop au sérieux, parce qu'en fin de compte nous faisons du divertissement. Nous ne sommes pas en train de sauver le monde." Steiner éclate de rire. Un rire carnassier où son ambition de faire briller cette "petite" équipe (valorisée à hauteur de 500 millions d'euros tout de même) reste intacte. "J'ai eu l'occasion de diriger une plus grande équipe, j'ai refusé. Je suis resté loyal envers Gene Haas et moi-même. Nous avons traversé des tempêtes, mais j'ai un travail à finir : faire grandir encore et encore cette écurie". Notamment à Monaco, où, sur ce circuit atypique, tout est permis, même marquer de gros points. Cette année, si les Red Bull sont intouchables et les Aston Martin en embuscade, le milieu du peloton est très resserré. N'a-t-on pas vu au GP de Miami la Haas de Magnussen talonner, puis doubler la Ferrari de Leclerc ? 

Günther Steiner dit ne pas rêver des sommets. Juste d'un podium. Ce passionné de randonnée - normal quand on est né dans le Tyrol - sait qu'une carrière en Formule 1 est une longue escarpée. A-t-il dans un coin de sa tête le destin doré de Ross Brawn, mécanicien comme lui, qui est devenu le leader technique de Ferrari, époque Schumacher, et champion du monde avec Jenson Button en fondant sa propre écurie ? Il jure que non avec la modestie des habiles. Lui se verrait bien finir chez Haas. "Dans cinq ans, j'aurai probablement été cryogénisé pour m'empêcher de raconter des conneries tout le temps" écrit-il dans la conclusion de son livre. On n'est pas obligé de le croire.