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Robin Le Mesurier au Point : "Mes 1000 concerts avec Johnny"

Fidèle guitariste de Johnny Hallyday pendant plus de 20 ans, le musicien anglais livre sa peine, ses souvenirs et ses projets.   

Pendant vingt-trois années de rock'n'roll, le discret Robin Le Mesurier n'a fait entendre que le son de sa guitare. Invisible dans les médias, le musicien londonien ne s'est jamais pressé pour répondre à une interview et n'a jamais appris le français. Cette retenue ne l'a jamais empêché de devenir le seul musicien incontournable de l'idole des jeunes, du Stade de France à la Tour Eiffel en passant par tous les Zénith de l'hexagone. Ancien guitariste de Rod Stewart, Robin Le Mesurier avait tout lâché en 1994 pour suivre Johnny, après lui avoir écrit deux titre blues en anglais : "Are the Chances Gone" et "Fool for the Blues". Depuis le 5 décembre 2017, le soliste de Johnny est meurtri. Dans son livre, Mes 1000 concerts avec Johnny et dans cet entretien, il raconte pour la première fois les liens quasi fraternels qui l'unissaient au rockeur préféré des Français, qu'il surnommait "The Singer". Afin de combler le manque qu'il ressent, il révèle aussi qu'il souhaite mettre en place une tournée "Johnny Hallyday" avec un hologramme, représentant le chanteur à plusieurs périodes de sa vie et en reconstituant son groupe de musiciens. Il avoue en outre son étonnement que la France n'ait pas encore institué une journée dédiée à son ami : "le jour de Johnny", propose Robin. Ce seront ses seuls mots prononcés en français pendant l'interview. Le guitariste explique sa découverte du monde Johnny Hallyday, des privilèges à l'aéroport aux discussions en "franglais" avec Bernadette Chirac ou Emmanuel Macron. Robin Le Mesurier raconte enfin les coulisses de la vie en tournée de Johnny, entre courses effrénées en bateau et cigarettes craquées dans une chambre d'hôpital. 

Pendant 23 ans, vous avez vu défiler des dizaines de musiciens différents. Sur cette période, Johnny les a tous changés, sauf vous. Comment avez-vous réalisé cet exploit ? 

Je ne sais pas. Je m'estime surtout chanceux. Cela s'explique par notre amitié dans la vie. Johnny était comme mon frère. Il était si gentil avec moi. Je sais qu'un jour, on lui a suggéré de changer de guitariste. Johnny a simplement répondu : "Non. Robin, c'est mon sang". 

Lors de la dernière tournée, Johnny vous présentait au public en plaisantant : "Je connais Robin depuis plus longtemps que ma femme, vous vous rendez compte ?". 

Je pense d'ailleurs que notre amitié a duré plus longtemps que beaucoup de mariages ! En plus de 20 ans, nous n'avons pas eu une seule dispute ni-même un désaccord. Nous étions toujours sur la même longueur d'onde : la musique, le cinéma, la comédie, la vie en général. On pensait toujours la même chose et c'était formidable. Nous avons passé énormément de temps dans sa salle de cinéma, à regarder des films ensemble. 

Vous avez rencontré Johnny en 1994, à l'occasion de l'enregistrement de l'album Rough Town. Quel souvenir conservez-vous de votre premier échange ? 

C'était au Sunset Marquis, à Los Angeles, à l'initiative de Chris Kimsey. Dès le premier instant, nous nous sommes comportés comme si on se connaissait depuis des années. Ce fut une amitié immédiate, en un "clic". On a discuté, bu, fumé, pendant des heures ! J'avais l'impression de l'avoir toujours connu. C'était très puissant. 

Selon vous, pourquoi Johnny Hallyday vous appréciait-il autant ? 

Nous avions le même sens de l'humour, on plaisantait énormément ensemble. Nous aimions la même musique. C'était très réciproque. Johnny était très généreux avec moi. Un soir, lors du Flashback Tour en 2006, il a débarqué dans ma loge et m'a montré son nouveau pendentif, qui représentait un guitariste crucifié. Il m'a ainsi demandé s'il me plaisait. Le lendemain, on frappe à nouveau à ma porte, et quelqu'un m'avertit que Johnny demande à me voir. "Robin, j'ai quelque chose pour toi", me dit d'emblée "The Singer". Il m'a offert le pendentif identique, m'expliquant qu'il en existait seulement deux au monde (d'une valeur de 25 000 dollars, réalisés par le bijoutier Harry Winston). Je ne l'ai jamais quitté. 

Durant vos longues tournées, vous passiez des heures en compagnie de Johnny. Quelles étaient vos conversations ? 

On parlait de la vie, et de combien de temps nous allions tenir sur cette planète ! Il me disait sans cesse : "Robin, je veux mourir sur scène." Je lui répondais que je ne voulais surtout pas que cela arrive sous mes yeux. Il était très drôle à ce sujet, il avait beaucoup d'humour. Ce genre de conversation me manque énormément. 

À travers les pages que vous écrivez, on sent effectivement que Johnny vous manque beaucoup. 

C'est vrai. Je rêve toujours de lui ! Un jour, il est survenu un évènement incroyable. Ma femme diffusait de la musique dans notre salon, via l'appareil "Alexa". "Alexa, joue les Rolling Stones." Plus tard, "Alexa, joue un morceau de Tom Petty." Ensuite, elle commence à dire "Alexa...", et avant qu'elle puisse continuer, le dernier album de Johnny a retenti ! L'enregistrement entier, de la première à la dernière chanson. Elle n'avait rien dit de plus ! J'en ai toujours des frissons. C'était incroyable. Johnny est toujours parmi nous. 

À propos, que pensez-vous de son ultime enregistrement "Mon pays, c'est l'amour", sorti en octobre 2018 ? 

L'album est vraiment bon. Lorsque j'ai travaillé sur cet album, à Los Angeles, c'était incroyable. Sa voix était si belle et si puissante que j'avais l'impression qu'il était là, dans le studio, avec moi. Malheureusement, ce n'était pas le cas, et cela n'arrivera plus jamais. 

En lisant votre livre, on décèle une seule différence entre Johnny et vous. Sa passion pour la vitesse semblait vous effrayer... 

Il aimait tellement ça ! Je me souviens d'un jour à Saint-Tropez, sur un bateau. Il naviguait aussi vite qu'il le pouvait. Cette fois-là Johnny était tombé à l'eau ! Une autre fois, au retour d'une répétition, je suis monté dans l'une de ses voitures de sport, vraiment très rapide. Je me suis cramponné pendant 5 minutes, il roulait tellement vite ! Mais il ne prenait pas de risques au-delà de ses limites. Johnny était un as du volant. 

Vous parlez également du sentiment de solitude de Johnny, notamment lors de votre rencontre en 1994. S'en ouvrait-il à vous ? 

Johnny se sentait seul lorsqu'il était célibataire, qu'il n'avait pas de femme à ses côtés. Alors on essayait de faire en sorte que ça n'arrive pas (rires) ! Pour lui, c'était difficile de vivre seul. 

Parlait-il de son père, qui l'a abandonné alors qu'il n'était qu'un bébé ? 

Il en parlait de temps en temps, mais très rarement. C'est quelque chose qu'il aurait aimé oublier...

En 2004, vous avez intégré le nouveau groupe de Rod Stewart, pendant une période où Johnny n'était pas sur scène. Dans votre livre, vous racontez l'inquiétude du rockeur français...

J'étais à Orlando avec Rod. Johnny me téléphone, et comme à chaque coup de fil, débute ainsi (le guitariste imite la voix de son ancien patron): "Hi Robin. It's Johnny, Johnny Hallyday." À chaque fois, je luis disais : "Je sais bien que c'est toi !" Mais il n'appelait pas pour plaisanter. "Tu n'es pas en train de me quitter, si ?" Je l'ai rassuré en lui disant que c'était juste pour un été avec Rod. Je n'aurais jamais quitté son groupe. Lors d'une journée en bateau à Saint-Tropez, Michel Sardou avait demandé à Johnny : "J'aimerais bien voir Robin dans mon groupe pour la prochaine tournée". Johnny a simplement répondu : "Non." Et quand il disait non, c'était non. Michel Sardou n'a pas insisté. 

Pour quelle raison n'avez-vous jamais imaginé quitter Johnny ? 

C'était la famille ! Et puis tout simplement parce que Johnny était l'un des meilleurs chanteurs du monde. J'aurais eu du mal à trouver mieux. On prenait tellement de plaisir. Johnny n'arrêtait pas de me dire : "Il me tarde d'être à nouveau en tournée." Avant un concert, il me disait toujours qu'il était fatigué. Et aussitôt sur la scène, il devenait un homme différent. C'était un grand acteur, qui captivait son audience. Il transmettait sa force à tous les gens autour de lui. 

Vous souvenez-vous de vos premiers concerts avec Johnny, en 1994 ? 

Je me souviens de notre première répétition. On jouait "Quelque chose de Tennessee". Quand il s'est mis à chanter, il m'a scotché ! C'était incroyable. Mais c'était comme ça tous les soirs ! Même s'il avait un rhume, sa voix restait incroyable. Chaque show était une nouvelle expérience. Je suis plutôt timide, et parfois, Johnny me poussait devant la scène pour mes solos de guitare. Parfois, les tournées étaient si longues que nous ne savions dans quelle ville nous nous trouvions. Un soir, pendant une chanson, Johnny me demande : "Dans quelle ville sommes-nous ?" Je lui réponds que je n'en ai aucune idée. Puis je regarde dans le fond de la salle, et je vois écrit "Clermont-Ferrand". Je le montre à Johnny et il a salué le public (rires). 

Quelle est votre chanson préférée du répertoire de Johnny ? 

Il y en a tellement ! "Je te promets", "L'Envie", "Que je t'aime", "Marie", "La musique que j'aime"... et tous les rock'n'roll comme "Oh Carol" (Chuck Berry, NDLR). Lors d'une tournée, Johnny a choisi "Hot Legs", un titre de Rod Stewart. Je n'ai jamais dû jouer une chanson que je n'aimais pas. Le répertoire de Johnny est tellement immense... au début des répétitions, on avait une liste considérable de chansons à apprendre. On en répétait 100 pour en garder 30 pour le concert. 

Si vous pouviez revivre un moment avec Johnny, lequel choisiriez-vous? 

Je voudrais juste être assis en face de lui, comme lors de nos dîners. Jouer sur scène avec lui me manque. Mais par-dessus tout, c'est sa compagnie qui me manque. Que j'étais à Marnes-la-Coquette, on prenait ensemble le petit-déjeuner, puis le déjeuner. Et on parlait. On se demandait à quelle heure on allait partir répéter. Nous étions systématiquement en retard, partout où nous allions ! Et ensuite, on se retrouvait à zigzaguer entre voitures pour aller plus vite, avec le gyrophare. Avec Johnny, tout est toujours différent. À l'aéroport Charles-de-Gaulle, si j'étais avec Johnny, je n'avais pas besoin de passer par la sécurité ou le contrôle des passeports. On descendait de l'avion et on filait directement dans une voiture. Même les présidents ne font pas ça. C'était très amusant. 

En parlant de présidents, vous en avez rencontré plusieurs lors de vos 23 ans avec Johnny. 

En 1997, Johnny a été fait chevalier de la Légion d'honneur. Jacques Chirac était très gentil, toujours souriant. Mais c'était stressant, car il y avait des snipers partout sur les toits ! Et Bernadette est venue me parler pendant 20 minutes ! Elle me posait des questions sur le show, ma musique, et voulait savoir ce que faisait un guitariste anglais en France. Je trouvais ça hors du commun de parler avec une "First Lady". 

Ensuite, vous avez rencontré Emmanuel Macron. 

C'était à la Madeleine, après l'hommage à Johnny. Il est venu me voir, et m'a dit "Robin, merci infiniment d'être venu." Je lui ai répondu "Comment aurais-je pu manquer cela ? Johnny était mon frère." Ensuite, je me suis demandé comment le président français connaissait mon nom. J'étais surpris. D'ailleurs, il y avait trois présidents dans l'église.

Un million de français étaient présents dans les rues de Paris pour l'adieu à Johnny. Qu'en avez-vous pensé ? 

C'était très touchant. Quand on jouait dans l'église, je ne pouvais croire à ce que nous étions en train de faire. La veille, à mon arrivée à Paris, il pleuvait des cordes. Le samedi, le ciel était d'un bleu magnifique. Et le lendemain ? Il pleuvait à nouveau ! Quand je suis rentré à Los Angeles, j'ai regardé les images sur Internet. J'ai découvert cette foule immense. C'était incroyable. Cela prouvait à quel point les gens l'ont aimé. J'ai aussi vu la photo de la Tour Eiffel avec l'inscription "Merci Johnny", cela m'a beaucoup touché. Moi aussi, je le remercie. 

En vous recrutant comme guitariste, Johnny a modifié le cours de votre vie. 

Sans lui, jamais je n'aurais donné de concert au Liban, à Tahiti ou La Réunion. Je me souviens aussi de nos deux shows à Londres, au Royal Albert Hall (2012). Les critiques anglais avaient été unanimes sur la qualité du concert, alors qu'ils sont d'ordinaire très sévères avec les groupes non anglo-saxons. Pour moi, c'était fantastique de jouer là-bas, à environ un mile de mon lieu de naissance. J'étais dans la salle lors du concert de Jimi Hendrix. Quand on jouait "Hey Joe" avec Johnny, j'ai soudain réalisé que je jouais "Hey Joe" au même endroit que Hendrix l'avait fait ! 

Johnny adorait les guitaristes et aimait particulièrement le son de votre guitare... 

C'est étrange, car je n'utilise aucun effet ! Je me branche, je mets un peu de réverbération, j'utilise un médiator en métal et c'est tout. Il n'y a pas besoin de jouer cinquante notes en même temps pour bien jouer de la guitare. Parfois, Johnny me disait : "Monte le son !"

Dans le livre, vous racontez aussi les coulisses d'un groupe de musique. Vous n'étiez pas le chef, mais votre avis était toujours écouté. 

Même lorsqu'il y avait un directeur musical, comme Yvan Cassar ou Philippe Uminsky, les membres du groupe venaient toujours me voir. Car ils savaient que j'avais l'oreille de Johnny. J'étais l'intermédiaire. Par exemple, Philippe Uminsky avait imposé sa petite-amie en tant que pianiste du groupe. Au cours des répétitions, j'ai vu que cela ne fonctionnait pas. Je l'ai dit à Philippe, lequel m'a rétorqué qu'elle était tout de même concertiste. C'était justement ça le problème, ce n'était pas une pianiste de rock'n'roll ! Philippe m'a alors demandé d'appeler Johnny afin qu'il décide. Et Johnny a dit non. Nous avons finalement engagé Brad Cole, un pianiste américain. 

Vous êtes ami avec Rod Stewart. Que pense-t-il de Johnny Hallyday ? 

Il l'adore. Lorsque nous avons joué aux États-Unis en 2014, Rod a assisté au concert de Los Angeles. Johnny et Rod voulaient enregistrer un duo ensemble, mais ils n'ont jamais trouvé le temps. 

Au fil des pages de votre livre, on devine l'addiction extrême de Johnny Hallyday à la cigarette. À chaque fois que vous parlez de lui, vous mentionnez le fait qu'il soit en train de fumer... 

On avait l'habitude de terminer nos SMS par un émoticône représentant une cigarette. Lors des derniers mois de sa vie, Johnny m'a annoncé qu'il ne fumait plus : "Les émojis cigarettes, c'est fini !" Il fumait en permanence. Il n'inhalait pas tant que ça la fumée. Mais dès qu'il écrasait un mégot, il allumait une nouvelle cigarette. Et ainsi de suite... Lorsque nous sommes allés jouer à Nouméa, l'hôtesse de l'air a annoncé que le vol était non-fumeur. Avec Geoff, le batteur, on s'est aussitôt dit que c'était impossible ! Dans la seconde suivant l'annonce, le manager Sébastien Farran a téléphoné à la compagnie aérienne pour dire qu'il fallait autoriser la cigarette. Lorsque Johnny était contraint de voyager dans un avion de ligne, il se collait deux patches sur la poitrine. 

En 2009, à peine réveillé de son coma, Johnny vous a mis dans une position délicate en exigeant une cigarette dans sa chambre d'hôpital... 

Je n'aurais jamais dû accepter. Il y avait des bouteilles d'oxygène partout, c'était tellement dangereux. Mais comment dire non à Johnny ? 

Vous avez passé beaucoup de temps avec la famille Hallyday. Laeticia a même écrit la préface de votre livre. Quels liens avez-vous gardés ? 

J'adore Laeticia, c'est une femme formidable. Elle est tellement gentille. Elle s'entend très bien avec mon épouse, Julie. Laeticia voulait nous inviter à Saint-Barth mais je n'ai pas encore pu y aller. Je le ferai un jour, peut-être pendant que Jade et Joy seront en vacances. 

Vous avez 66 ans. Quels sont vos projets ? 

J'ai proposé une idée à un producteur. Je voudrais monter une tournée "Johnny Hallyday" en utilisant des hologrammes, qui représenteraient Johnny à différentes périodes de sa vie. Sur scène, on pourrait reformer le groupe de Johnny, avec ses musiciens. J'ai vu ce genre de spectacle à Los Angeles pour Roy Orbinson, c'était incroyable. C'est le seul moyen de lui rendre hommage. On ne trouvera jamais un chanteur comme Johnny Hallyday. Jamais.