Sport Culture
Lifestyle et Business

NEWSLETTER

Yacine Hamened : entretien avec Le Figaro dans les coulisses du foot amateur

Dans son livre Les hors-jeu du football français, Yacine Hamened, grâce à son expérience d'éducateur, dépeint un tableau inquiétant du football français, des centres de formation au monde amateur en passant par le rôle des parents ou des éducateurs.

"Mais l'équipe de France est championne du monde, tout va bien." C'est le leitmotiv ironique qui revient tout au long du livre de Yacine Hamened Les hors-jeu du football français. Directeur technique du CO Cachan, mais aussi chroniqueur pour plusieurs médias, l'auteur ne mâche pas ses mots lorsqu'il s'agit de dénoncer certains systèmes bien ancrés dans le football amateur ou les centres de formation. 

"Mai 2019. Rédouane Abbaoui, 36 ans, meurt assassiné de plusieurs coups de couteaux. Le meurtrier présumé de l'entraîneur de Vauvert est un de ses joueurs de 21 ans qu'il avait exclu du club pour manque de respect.C'est par ce fait divers que commence le livre de Yacine Hamened. Des parents "hystériques" au bord du terrain, des éducateurs qui ont abandonné l'aspect éducatif de leur rôle pour des raisons pécuniaires et sportives, une formation uniquement tournée vers le résultat... Le tableau dépeint par l'auteur est a minima déplorable, au moins affolant. Entretien. 

À vous livre, on a l'impression que presque tout va mal dans le football français... 

Non, tout ne va pas mal... La France forme et vend des joueurs, est championne du monde. Mais l'histoire n'est pas aussi belle que ça. Il y a des dysfonctionnements, mais surtout, je pense qu'on peut, et on doit encore faire mieux. Dans la formation des joueurs, des entraîneurs notamment. 

Vous êtes responsable technique à Cachan, êtes passé par Évian... À quel moment vous vous êtes dit que votre expérience allait faire un livre ? 

C'est venu avec le titre de champion de 2018. Parce qu'on l'a utilisé comme vérité absolue. "On est champions du monde, on est donc les meilleurs". Et je trouve que ce titre a masqué beaucoup de choses : l'échec de nos clubs sur les compétitions européennes, l'échec de certains joueurs à l'étranger. Pour moi c'est une belle vitrine, mais le football ne se résume pas à l'équipe de France A. 

Quelles sont les principales difficultés autour du métier d'éducateur dans le football amateur aujourd'hui ? 

Il y en a plusieurs. On en a déjà au niveau des structures. C'est très compliqué d'avoir des terrains, d'avoir des créneaux pour nos licenciés. 

Le deuxième problème c'est d'avoir des éducateurs compétents qui ont envie de s'investir. Il faut dire la vérité, ils ne sont pas très bien payés, souvent indemnisés à hauteur de 200 euros par mois. Et ce qu'ils recherchent aujourd'hui c'est une pépite. Ils vont la repérer et se servir de la position qu'ils ont pour se décréter agent ou conseiller. 

Le troisième problème, qui découle du deuxième, c'est qu'on a parfois l'impression que les parents prennent des licences auprès des éducateurs et pas des clubs. Quand je suis arrivé à Cachan, on a toute une équipe de U9 qui a quitté le club parce que l'éducateur quittait le club. Les meilleurs joueurs de la catégorie sont partis. 

Vous parlez beaucoup des parents dans votre livre, allant jusqu'à dire qu'ils sont parfois une "vraie plaie" pour les éducateurs. À ce point ? 

Ce n'est pas un phénomène nouveau, mais dans des proportions beaucoup plus importantes qu'il y a quelques années. L'image du football n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui. Les parents n'avaient pas le même regard sur le football avant. Quand j'étais jeune, devenir footballeur n'était pas quelque chose de bien vu par mes parents qui voulaient que je fasse des études. Aujourd'hui on a l'impression que c'est la panacée. 

Les parents se mêlent de tout. Avec toutes les émissions foot qui existent, ils pensent connaître le sport et viennent donner des conseils aux éducateurs. C'est devenu un vrai problème. C'est problématique parce que si nous, éducateurs, disons à un enfant : "Tu dois encore travailler", les parents ne sont pas d'accord. 

Ça vous est arrivé qu'un enfant remette en cause votre légitimité à cause de ses parents ? 

Non les enfants ne le disent jamais mais ça se voit dans leur comportement. Ils n'écoutent pas. Mais c'est paradoxal parce que l'enfant, au départ, quand on lui dit : "Tu vas être remplaçant ou joueur en équipe B", il ne le prend pas mal. Le problème c'est le regard de ses parents. 

Quand j'étais à Évian, j'ai envoyé un enfant en équipe B parce qu'il devait progresser. Quand je lui annonce, pas de réaction. Cinq minutes après, son père arrive et me dit : "Ce n'est pas normal, mon fils est très bon et n'a pas à jouer en équipe B." Et je vois le visage de l'enfant se décomposer. Ce sont les parents qui créent chez les enfants des complexes du type : "Mon père n'est pas fier de moi parce que je joue en équipe B." Et ça, ça génère de l'animosité contre l'éducateur de la part des enfants et des parents. 

Pendant la saison, de manière générale, j'essaie de limiter au maximum les interactions avec les parents. Pour le moment ça marche. C'est une barrière pour qu'il n'y ait pas d'affinité. La proximité se crée assez facilement, parfois les parents s'en servent et l'éducateur se retrouve piégé : "Je m'entends bien avec le père ou la mère, est-ce que je peux rétrograder son enfant en équipe B ?" Humainement, c'est difficile à gérer et je le dis à mes éducateurs. C'est difficile parce que les parents font partie de la vie du club. 

On voit passer tous les week-ends ou presque des affaires d'agression d'arbitre, d'éducateur ou de bagarres entre joueurs lors de matchs amateurs. Comment vous l'expliquez ? 

Ce n'est pas un phénomène nouveau non plus, mais c'est mis en lumière par les réseaux sociaux. Tout comme un éducateur devient un ennemi lorsqu'il met un enfant en équipe B, l'arbitre qui siffle un penalty devient un ennemi, l'enfant qui fait une faute est aussi un ennemi parce qu'il empêche un autre enfant de marquer... Tout dégénère rapidement. L'une des raisons c'est qu'il y a de plus en plus de recruteurs qui viennent voir les matches et les parents le savent. 

J'ai vécu des matchs où des parents rentrent sur le terrain pour insulter un enfant ou un arbitre. Ou alors où des parents insultent un éducateur en bord de terrain parce qu'il a réclamé une faute. Je vois entre quatre et six matches par week-end. Je peux dire que c'est pratiquement un week-end sur deux et je parle de toutes petites catégories, U9 ou U11. Les enfants le vivent très mal. 

Le racisme est-il aussi quelque de systémique dans le football en France ? 

Je l'ai vécu en tant que joueur quand on se déplaçait dans certaines régions. En tant qu'éducateur pas ostensiblement. Mais oui, c'est systémique. Pour moi, les préjugés sur les qualités en font partie. Quand on dit que "les joueurs noirs sont plus grands, solides, bons en défense et que les joueurs arabes sont petits et techniques", ça en fait partie. Et pour moi, dire que le joueur italien est vicieux c'en est aussi. Je sais que si je dis à un scoute que je manque de puissance en défense dans ma génération 2005, il va aller me chercher un grand joueur noir et c'est involontairement du racisme. 

Dans le football amateur, le racisme est plus présent au bord des terrains selon les régions où on va jouer. Quand on joue les championnats nationaux, il y a certains régions où c'est très compliqué. On m'a rapporté des "sale singe", "sale bamboula". On a trop pensé que ces insultes faisaient partie d'une tentative de déstabilisation de l'adversaire et que ça faisait partie du jeu. On a trop toléré ça dans le football.

Vous dites "Il ne faut jamais oublier que le football est un jeu, et le plaisir en est une donnée importante", c'est une donnée qu'on a plus en France ? 

À partir du moment où on n'est que dans la recherche du résultat, le plaisir n'existera qu'à travers le résultat. Si vous perdez un match, il n'y aura rien à retenir et l'éducateur va sûrement s'en prendre à ses joueurs dans le vestiaire. Je reste persuadé qu'en prenant du plaisir, on progressera plus. Qu'en apprenant et répétant bêtement les gestes. 

Comment faire évoluer cette mentalité ? 

Je pense déjà qu'il faut revoir le système de compétition chez les jeunes. À partir du moment où ils commencent avec ce système de montée et de descente dès leur plus jeune âge, on considère que le résultat est ce qui importe le plus. 

Et puis, laissons aussi les gens débattre, discuter, apporter d'autres visions. Si je préfère être dans le déséquilibre parce que je considère que gagner 5-4 c'est mieux que 1-0 et c'est aussi offrir du spectacle, laissez moi faire. 

Vous terminez votre livre en parlant d'aspects positifs du foot français. Lesquels ? 

Déjà on forme beaucoup de joueurs. Ça veut dire qu'il y aura des jeunes qui pourront vivre du football et c'est déjà pas mal. Ensuite, malgré tout, si on parle purement de football, nos jeunes ont des bases très intéressantes. Il leur manque des choses pour toucher le haut niveau, mais on leur donne de super bases. Le joueur, quand il a fini sa formation en France, il sait faire beaucoup de choses. On a des clubs qui sont très bien structurés aussi. Si on se donne les moyens d'avoir une vraie politique sportive, ça pourrait très bien fonctionner. 

 

Par Sasha Beckermann pour Le Figaro.