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John Bolton au JDD : "Ce président est une aberration pour les États-Unis"

Ancien conseiller de Donald Trump, John Bolton ne votera pas pour le républicain à la présidentielle. Il qualifie sa politique étrangère d'"erratique".

En tant que conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, John Bolton a passé 453 jours au coeur du pouvoir avant d'être évincé en septembre 2019. Dans son dernier ouvrage, qui vient d'être traduit en français début octobre, l'ancien ambassadeur auprès des Nations unies livre une critique acerbe d'un président américain incompétent, focalisé sur sa réélection et responsable de l'affaiblissement de la position des États-Unis sur la scène internationale. Pour le JDD, il évoque le bilan du milliardaire en politique étrangère, sa personnalité et l'élection présidentielle de mardi.

Quelle a été la plus grande erreur de Donald Trump en politique étrangère?

Cela ne concerne pas une région ou une décision en particulier, sa plus grande erreur est de ne pas avoir de philosophie ou de grande stratégie. Il n’est pas capable d’avoir des principes cohérents tenant compte des intérêts de l’Amérique afin de développer une politique adéquate. Aucun président américain n'a réfléchi la politique étrangère de la manière dont le fait Trump. Sans aucune stratégie. Inévitablement, ses décisions sont ad hoc, erratiques et mal informées et ne permettent pas d’arriver à un but défini à l'avance. Cela ne veut pas dire que certaines de ses décisions n’ont pas été bonnes. Mais pour moi, c’est du hasard. Beaucoup de gens ont passé du temps à définir la doctrine Trump en matière de politique étrangère. Mais bonne chance, parce que vous inventez quelque chose qui n’existe pas dans sa tête.

Vous dites que certaines décisions ont été bonnes? Lesquelles?

Durant les quatre années du mandat de Trump, le budget de la défense a augmenté et est largement supérieur à ce qu’il était à la fin de l’administration Obama [plus de 150 milliards de dollars supplémentaires]. Il est actuellement de 750 milliards de dollars. Quand Obama a quitté le pouvoir, nous n’étions pas en mesure de remplir nos engagements dans le monde. Il y en a eu d’autres : la sortie de l’accord nucléaire sur l’Iran, du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, du traité Ciel ouvert. Ce sont des réussites importantes.

"Les relations entre Trump et Macron ne sont pas géniales"

Qu'auriez-vous fait différemment de Donald Trump en matière de politique étrangère ? 

Je dirais que ma doctrine en politique étrangère est "reaganesque". On peut la résumer comme ça : "La paix grâce à la force". Ce qui aura le plus d'impact à long terme, c'est la politique malavisée de Trump envers la Chine, qui a été totalement erratique. Durant les trois premières années, il a cru que le président Xi Jinping était son ami. Il voulait négocier le deal du siècle, le plus grand accord commercial de l'Histoire. Ce n'est pas arrivé. Mais il a poursuivi l'idée qu'il pouvait avoir une bonne relation avec Xi Jinping et que cela permettrait de bonnes relations avec la Chine. Or, durant les six derniers mois, il a été très hostile envers la Chine. Il a imposé plus de taxes, il a ordonné des sanctions en raison du traitement des Ouïghours et de la répression à Hongkong. Sa rhétorique s'est endurcie. Pourquoi ce changement ? Parce qu'il est devenu de plus en plus clair que les Chinois ont dissimulé des informations sur le coronavirus. Ils ne sont toujours pas transparents sur les conséquences épidémiologiques et économiques du virus en Chine. Ce qui a empêché le reste du monde de mener une politique efficace contre le coronavirus. Les sondages d'opinion aux États-Unis et en Europe montrent d'ailleurs une hausse de la défiance envers la Chine. Donc Trump a utilisé cette perception pour insister sur la responsabilité de la Chine. Les dommages provoqués aux États-Unis nous pouvaient évidemment pas être de sa faute, donc ça devait être quelqu'un d'autre. 

Sa politique chinoise pourrait-elle encore changer s'il est réélu ? 

Si Donald Trump gagne et que Xi Jinping lui dit qu'il veut négocier avec lui le deal du siècle avec lui, il est entièrement possible que Trump change d'avis parce qu'il veut réellement un accord avec la Chine. En cas de second mandat, Trump ne se comportera pas forcément comme les gens le pensent, car la pression politique qu'il avait durant les quatre premières années s'envolera en cas de réélection. Il ne devra plus tenir compte de ce que veulent ses partisans. Les gens disent que Trump mène une politique dure avec la Chine. Aujourd'hui, oui, hier, non et demain, cela ne peut-être plus le cas. 

Qu'en est-il de sa relation avec Emmanuel Macron ? 

Franchement, elle n'est pas géniale ! Quand Trump a été élu, des dirigeants du monde entier ont essayé de bâtir des stratégies de négociation avec lui. Je pense que c'est un aveu de leur part d'un point important : Trump est une anomalie, une aberration pour les États-Unis. Chacun a donc essayé de mettre en avant ses intérêts nationaux. Le Japonais Shinzo Abe est venu à New-York, a établi des relations de proximité - ils ont joué au golf ensemble notamment - et Macron a essayé de faire pareil. Il a pu avoir un aperçu très clair de la différence que Trump peut faire entre ses relations personnelles avec les leaders étrangers et les relations bilatérales entre les États-Unis et le pays concerné. Macron a donc travaillé très dur pour établir une relation personnelle mais je ne pense pas que ça ait marché, et ça n'a marché pour personne, en fait, parce que Trump n'entretient pas réellement de relations personnelles. Tout dépend de ce que vous pouvez lui apporter, et Macron l'a compris. Son bilan est donc mitigé, mais bien pire pour Angela Merkel ou Theresa May. 

"Un jour, l'Histoire se penchera sur le temps passé par Trump devant sa télévision au lieu de travailler"

Pourquoi dites vous que Trump est inapte à la fonction du président ? 

Il n'a pas de philosophie politique, ce qui est une erreur. Le rôle des États-Unis dans le monde et notre politique intérieure sont trop complexe pour appréhender sans principes pour vous guider. Personne ne partirait en voyage sans savoir où il va. Il y a un proverbe qui dit: "Si tu ne sais pas où tu vas, n'importe quelle route fera l'affaire." Ce n'est pas une façon de gouverner un pays. Il n'est pas compétent, il ne comprend pas l'immensité des responsabilités d'un président américain, ne connaît pas grand-chose à la nature du métier, notamment sur les questions de sécurité nationale. Aucun président américain ne savait tout sur tout, ce travail est trop vaste, mais les bons présidents ont appris ce qu'ils ne savaient pas. Trump ne cherche pas à apprendre, il pense qu'il n'en a pas besoin, qu'il peut prendre la mesure des dirigeants étrangers grâce à son instinct et parvenir à des accords très facilement. Certes, il a réussi dans l'immobilier à New-York, mais ce n'est pas de cette manière qu'on réussit comme président. 

Sur une échelle de 1 à 10, quelle note donneriez-vous à sa gestion de l'épidémie de Covid-19 ? 

Je dirais au mieux 2 ou 3. Une pandémie offre un bon exemple de ce qui arrive lorsque, face une crise, vous essayer de bâtir une stratégie, de définir des objectifs et des moyens de les atteindre. À qui allez vous donner des responsabilités ? Dans quels domaines ? Comment allez-vous mesurer leur efficacité ? Trump, lui, a commencé par dire qu'il n'y avait que quelques cas, que la situation était sous contrôle, que tout allait rentrer dans l'ordre, puis il a finalement crée une task force censée briefer les gens, discuter du virus et de la façon de ralentir l'épidémie. Mais tout ça s'est transformé en une conférence de presse quotidienne d'une heure, ce qui lui a valu de super audiences pendant un temps. Puis il arrêté et a voulu mettre l'accent sur l'économie. Tout cela est très problématique, déjà parce qu'il fallait se saisir du problème en janvier et qu'il ne l'a pas fait. Mais l'attention de Trump est concentrée sur ce qui se passe au jour le jour, il n'y a que ce qui passe aux infos à l'instant T qui l'intéresse. Un jour l'Histoire se penchera sur le temps passé par Trump devant télévision au lieu de travailler. C'est un cercle infernal : il fait une conférence de presse, puis il se regarde à la télé, ensuite il tweete et regarde les réactions que cela provoque. Ce n'est pas ça gouverner. 

Aurait-il dû être destitué ? 

Les démocrates ont très mal géré l'impeachment. Ils ont réduit leur champ d'action pour ne pas empiéter sur la primaire démocrate et c'était une très grosse erreur. Cela a provoqué une réponse partisane des républicains à la Chambre comme au Sénat, qui a finalement acquitté le président. La présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, avait expliqué qu'il serait "empêché" pour toujours, mais la procédure est arrivée au Sénat, où il a été acquitté, on peut donc aussi dire qu'il est acquitté pour toujours. En fait, les démocrates ont renforcé Trump. S'il est réélu, il aura une fois de plus trompé les sondages et évité l'impeachment. Et si vous pensez qu'il n'avait aucune limite lors de son premier mandat, attendez de voir le second ! 

Craignez-vous qu'il soit réélu ? 

J'ai peur que les dommages de son premier mandat soient irréparables. Je suis assez optimiste en cas de défaite de Trump, je pense que les problèmes qu'il a causés peuvent être réglés rapidement, mais si son comportement et son action se poursuivent quatre ans de plus, certaines auront des effets irrémédiables. 

"Pour la première fois de ma vie, je ne vais pas voter pour le candidat du Parti républicain à l'élection présidentielle"

Allez-vous voter Joe Biden ? 

Pour la première fois de ma vie, je ne vais pas voter pour le candidat du Parti républicain à l'élection présidentielle, c'est un grand choc pour moi, mais je ne voterai pas non plus pour Biden. Je vote dans le Maryland, où l'on peut écrire le nom d'un autre candidat sur son bulletin. C'est ce que je vais faire. 

Quel nom allez-vous écrire ? 

Pour protéger cette personne, je n'en parlerai pas avant l'élection, mais ce sera quelqu'un de vivant. J'aurais voulu écrire Ronald Reagan mais il n'est pas disponible ! À cette élection, il faut choisir entre mauvais et incompétent. 

Joe Biden ferait-il un meilleur président que Donald Trump ? 

C'est comme comparer des pommes et des oranges. Je pense que Donald Trump est incompétent pour être président, mais je pense aussi que les décisions de Joe Biden, notamment sur les questions de sécurité nationale, seront mauvaises. Il faut choisir entre mauvais et incompétent ! Je ne serai pas heureux le jour de l'élection, quoi qu'il arrive. 

Pensez-vous que Donald Trump acceptera sa défaite si c'est ce qui arrive mardi ? 

On peut dire avec une certaine confiance qu'il ne partira pas gracieusement. Tous les États ont des règlements permettant de contester l'élection, ce n'est pas nouveau. En 2000, j'ai passé 31 jours en Floride pour le recomptage des voix entre Bush et Gore, qui a fini devant la Cour Suprême. Si l'élection est serrée cette année, ce que je pense, on peut avoir ce problème dans plusieurs États, mais cela ne veut pas dire que le système s'écroulera. Je rappelle que le collège électoral se réunit le 14 décembre, et que si les États ne certifient pas les résultats à cette date, les votes ne seront pas pris en compte. Pour un gouverneur ce serait une catastrophe, dont ils vont tout faire pour que cela n'arrive pas. Je pense que finalement ce sera moins chaotique que ce que pensent beaucoup de gens. Parce que ce n'est pas la première fois que l'élection est serrée et qu'il y a un recomptage. 

Mais c'est la première fois que le président sortant est Donald Trump... 

Vous marquez un point ! Trump est une anomalie mais, cela dit, je pense que les républicains ont une responsabilité si le président ne veut pas se confronter à la réalité. Ils devront se lever et dire qu'ils n'acceptent pas la contestation d'un scrutin dont l'issue est claire. Comme ils ont dit à Nixon qu'il était temps de quitter le pouvoir [en 1974 après le scandale du Watergate, NDLR], ce sera la bonne chose à faire. 

Craignez-vous que des violences éclatent ? 

Non, je ne pense pas. Bien sûr, il y a des fous et des gens qui croient à la violence, l'extrême gauche comme à l'extrême droite, et on ne peut pas l'exclure. Mais ça ne sera pas un problème majeur. 

Par Michaël Bloch et Thomas Liabot.