Rothschild, ce nom est devenu synonyme de finance internationale, de luxe et de réussite. À Genève, c'est une banque, une branche de la famille, des propriétés et une rue, Rive droite. Mais c'est d'abord une saga familiale exceptionnelle, écrite au fil d'une histoire souvent dramatique des juifs d'Europe.
Au départ de cette lignée qui va essaimer en Europe, un numismate de Francfort en Allemagne. Les juifs n'ont alors pas l'autorisation de sortir de leur ghetto. Malgré cela, Mayer Amschel, fondateur de la dynastie, devient facteur de cour, un titre honorifique, puis fournisseur officiel du Kronprinz. Une "ascension qui tient du miracle", écrit Luc Mary, auteur du tout récent Rothschild, splendeur et misère d'une dynastie.
Le numismate devenu "juif de cour".
Le "juif de cour" a la confiance de Guillaume de Hesse et sa connaissance des pièces rares séduit aussi le duc de Weimar et le roi de Bavière, qui lui confient des transactions. Dans les années 1770, sa fortune est faite. Il acquiert une des plus belles maisons du ghetto, "la maison à l'écusson vert", et obtient un laissez-passer qui ne le met pas à l'abri des quolibets antisémites.
Humilié, il cherche par tous les moyens à obtenir une reconnaissance sociale. Elle passera par "la gestion du trafic de la chair à canon", des paysans vendus à des puissances étrangères pour faire la guerre. Voilà le premier des Rothschild introduit dans les opérations bancaires. L'homme a du nez et ajoute à son activité de "billets de change" le stockage de marchandises en provenance des colonies, puis il devient le fournisseur de l'armée autrichienne. Cela lui permet aussi d'employer de pauvres bougres, une "main tendue aux pauvres" qui restera sa marque.
Sa notoriété va lui permettre d'acquérir de nouveaux clients parmi les comtes, ducs et princes jusqu'à être gratifié du titre d'agent de cour du Saint Empire. C'est lui qui fixe alors les taux d'intérêt et l'échéance des prêts. Les vexations antisémites ne s'arrêtent pas pour autant et la domination napoléonienne de l'ex-Empire ne change rien à la réussite du premier des Rothschild, notamment grâce à l'installation d'un de ses fils en Angleterre. Là demarre un essaimage des Rothschild en Europe et l'éclosion de la dynastie. À Francfort naît en 1810 la compagnie "Mayer Amschel Rothschild and Sons" associant le père et trois de ses cinq fils.
Cinq flèches, cinq fils, cinq banques
En finançant la coalition qui fera chuter l'empereur, le surdoué de la famille, Nathan, qui est parti à Londre, gagne vingt fois sa mise sur un coup génial de Bourse.
En 1819, il fonde sa propre succursale, la "NM Rothschild & Sons". En Allemagne, notamment à Francfort, berceau de la famille, les juifs sont persécutés et victimes d'émeutes sanglantes, soupçonnés d'avoir collaboré avec l'occupant français. Les Rothschild échappent au massacre.
À Paris, un des plus fantasques Rothschild se prénomme James. Un personnage qui inspirera les romanciers de l'époque : Balzac, Stendhal et Zola. La France, qui a fait des juifs des citoyens ordinaires à la Révolution, réunit des Ashkénazes et Séfarades, un nouvel univers pour ces juifs d'Europe. La fortune de James viendra en finançant les avances indemnités françaises de guerre à l'Autrice. Il est bien en cour, ce qui vaudra à la famille une particule et un titre de baron pour lui. Avec les cinq flèches (les fils) comme armes et la devise Concordia Integritas Industria.
Des financiers avant-gardistes
En Autriche, puissance gagnante de la période, Salomon prend, quant à lui, la tête de la succursale viennoise, la SM von Rothschild, en 1821, tandis que Charles crée à son tour une banque à Naples, la C M von Rothschild & Figli. Dans cette décennie, la légende de la famille est faite : on est riche comme Rothschild et plus comme Crésus.
Avant-gardistes, les Rothschild sont les premiers à financer le chemin de fer qui devient l'avenir du transport. James parie sur ce progrès en France. Un triomphe pour ce financier souvent exécrable et jalousé. Mais la révolution de 1848 va mettre à mal le champion, qui va devenir le symbole haï jusqu'au saccage du château de Suresnes aux cris de "À mort Rothschild".
De la Palestine au canal de Suez
Il décédera de maladie, vingt ans plus tard, salué par une presse élogieuse, soulignant son sens des affaires et sa générosité dans de multiples œuvres sociales. Dix mille parisiens assistent à ses funérailles. Il laisse une fortune de 10 millions de francs en or et une collection de 65 toiles de maîtres dont Rembrandt et Fragonard. Les trois fils de James prennent la suite. Parmi eux, Edmond, qui s'intéresse au sort des juifs en Palestine. Il achète des colonies aux Ottomans pour y installer des exploitations agricoles. Il est élu président du Consistoire de Paris et crée la société des études juives. Les pogroms en Russie vont encore raffermir sa "mission".
À Londres, Lionel, lui, s'intéresse au canal de Suez. Il finance l'opération britannique au prix d'une forte commission. Puis la famille s'intéresse au pétrole et se retrouve en concurrence avec une grande dynastie de la finance à New-York, les Rockefeller. La révolution bolchévique en Russie mettre fin à ce rêve caucasien. La Première Guerre mondiale décapitera les trois fils de la branche londonienne. La cinquième génération tentera de maintenir les affaires et subira quelques revers.
Un Rothschild espionne pour Moscou
La politique raciale des nazis à partir de 133 et leur antisémitisme d'État va frapper les Rothschild en Autriche et en Allemagne, même si une seule membre de la famille finira sa vie ans les camps de concentration. En France, la banque est nationalisée par le Front Populaire, curieusement avec l'assentiment d'un Rothschild, Maurie, le fils d'Edmond. Le gros du clan s'exile aux États-Unis. Leurs biens à Paris sont saisis et spoliés par l'occupant. Tandis que Victor livre des renseignements aux communistes, après avoir fait connaissance des "Cinq de Cambridge", de brillants étudiants de la haute qui espionneront pour les Soviétiques.
À Genève, une succession par les femmes
De retour en France après-guerre, Guy, de la branche française, relance les affaires et redore le blason. Il fonde Transocean, une société d'import-export, réinjecte les avoirs familiaux dans la banque "endormie" et conserve la puissante compagnie ferroviaire du nord. La fièvre du pétrole reprend, en Algérie cette fois, avec réussite. Son cousin Edmond s'installe en Suisse, à Genève. Il roule sur l'or et épouse en secondes noces une actrice roturière, Nadine, qui deviendra, à force de publication, la reine des bonnes manières parisiennes.
Depuis, les branches françaises et britanniques sont en froid. Les femmes ont pris le pouvoir. À Genève, la succession est assurée par Ariane, à la tête de la banque genevoise, et ses quatre filles. Pour compléter cette saga, très masculine, Nadine, elle a consacré un livre aux baronnes qui ont, elles aussi, tenu un rôle important dans la saga familiale au cours des siècle.
Par Olivier Bot pour La Tribune de Genève