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Morgane Giuliani : l'interview avec Le Point

Taylor Swift est-elle la plus grande pop star du siècle ?  La chanteuse de tous les records arrive avec sa tournée gigantesque, « The Eras Tour », à Paris. Fan absolue, Morgane Giuliani vient de lui consacrer une biographie illustrée.

Dire qu'il s'agit des concerts les plus attendus de l'année est un euphémisme. Taylor Swift, et sa gigantesque tournée « The Eras Tour », débarque enfin en Europe après avoir sillonné les Amériques, le Japon, l'Australie et enchaîné six dates à Singapour. Et c'est Paris, ou plus exactement à Nanterre, qui aura l'honneur de l'accueillir en premier en Europe, pour quatre soirées exceptionnelles à La Défense Arena, du 9 au 12 mai.

Jouissant d'une célébrité hors norme, dès son premier album enregistré à ses 16 ans, la nouvelle reine de la pop est, paradoxalement, restée longtemps confidentielle en France. Au sommet des charts et de tous les services de streaming, la chanteuse originaire de Nashville n'a jamais été aussi écoutée et populaire à travers le globe.

Fan depuis 2012, notre consœur Morgane Giuliani publie une biographie illustrée de son idole, Taylor Swift : la rebelle devenue icône, chez Talent Éditions. Elle décrypte, pour Le Point, toutes les facettes d'une artiste qui reste méconnue.

 

Couverture de Taylor Alison Swift : la rebelle devenue icône

Le Point : Taylor Swift a connu un succès phénoménal dès le début de sa carrière aux États-Unis, puis partout dans le monde. Mais en France, c'est comme si on ne la découvrait que maintenant…

Morgane Giuliani : Oui, complètement. On a bloqué sur le fait qu'elle faisait de la country à la base. Ce qu'elle a proposé ensuite, ce n'était pas du tout ce que les ados et les gens de son âge écoutaient en France. À ce moment-là, à la fin des années 2000, on était déjà beaucoup plus dans le rap, la RNB, et il y avait encore pas mal de rock. Il y a aussi cette image de « fille sage » qui ne nous parlait pas trop. On était plutôt habitué à une pop très « sulfureuse et sexy » à la Madonna, Britney Spears, Shakira, Beyoncé, Rihanna, etc. Chez nous, pendant longtemps, même des gens dans l'industrie musicale décrivaient Taylor Swift comme fade, parce que ce n'était pas ce que l'on attendait d'une femme dans la pop…

La langue, aussi, a été une barrière. Globalement, on n'est quand même pas très doué en anglais, en France. Or, si on ne s'intéresse pas aux paroles quand on écoute Taylor Swift, qui écrit tout elle-même, alors on passe à côté de tout. Donc oui, ça a pris plus de temps en France. Elle a fait une première tournée mondiale, en 2010, qui l'a amenée au Canada, en Australie, au Royaume-Uni, et très vite en Asie. Mais son premier Zénith, à Paris en 2011, était un échec, des bâches avaient été tirées pour cacher les places vides.

Qu'est-ce qui a enclenché le changement ?

 

Il y a plusieurs choses qui expliquent la bascule à mes yeux. L'album 1989 [sorti fin 2014, NDLR] a trouvé son public, en étant pendant longtemps celui qui s'est le plus vendu en France. Mais pour ceux qui trouvaient la pop superficielle ou qui ne s'intéressaient pas à elle, les deux albums folks, composés pendant le confinement, ont pu montrer une autre facette de sa personnalité et de sa musique, d'autant plus que Folklore [sorti le 24 juillet 2020, NDLR] a très bien marché et a gagné le Grammy Awards du meilleur album.

Je pense aussi que TikTok l'a beaucoup aidée à trouver un nouveau public, parce que, mine de rien, elle a beaucoup de sons qui sont devenus très viraux. L'appli repose sur des sons très courts, qui permettent d'enregistrer des petits sketchs ou des petites chorégraphies. Et comme Taylor Swift a un très bon sens de la formule, il y a beaucoup à puiser dans sa discographie pour créer des petites saynètes. Le documentaire Miss Americana, sorti en 2020, a aussi contribué à l'humaniser aux yeux des gens qui ne s'intéressaient pas à qui elle était, à son contexte.

"Elle est vraiment très, très loin devant tout le monde. Personne ne vend autant d’albums aujourd’hui en fait, surtout dans une industrie musicale qui s’est effondrée depuis une grosse vingtaine d’années."

Morgane Giuliani

Dans votre biographie, vous n'hésitez pas à la qualifier de « plus grande pop star du siècle ». Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer ?

Ne serait-ce qu'en termes de ventes, c'est un fait. Son tout dernier album, The Tortured Poets Department, qui vient de sortir, elle en a vendu plus de 2 millions d'exemplaires en une semaine. C'est énorme. Elle est vraiment très, très loin devant tout le monde. Personne ne vend autant d'albums aujourd'hui en fait, surtout dans une industrie musicale qui s'est effondrée depuis une grosse vingtaine d'années.

Puis sa tournée est devenue historique en dépassant le milliard de bénéfices alors qu'elle n'en est qu'à la moitié… En plus, tout le monde attend avec beaucoup d'impatience de savoir si elle va se prononcer officiellement pour soutenir Joe Biden pour la présidentielle américaine. Personne ne se pose la question pour aucune autre star actuellement. On sent que son influence est incomparable.

D'aucuns lui reprochent une pop consensuelle, qui ne serait pas assez engagée… Ses fans, eux, considèrent que c'est une parolière de génie. Qu'en est-il vraiment ?

Je trouve dommage que beaucoup de gens restent persuadés qu'elle ne raconte rien, alors qu'en fait, si. De son propre aveu, Taylor Swift écrit certaines chansons avec « sa plus belle plume à encre » et d'autres avec des « stylos gel pailleté » qui sont vraiment plus faits pour danser. C'est vraiment cette combinaison des deux qui la rend intéressante. Mais même les chansons pour s'amuser, quand on gratte un peu, il y a toujours un message derrière. Puis il y a ses textes, très torturés, très intimes, très introspectifs. Là-dessus, je trouve qu'elle fait preuve d'une très grande intelligence émotionnelle. C'est quelqu'un qui est capable d'observer les situations, de décrire les sentiments aussi. Elle arrive à dépeindre une image d'elle de plus en plus nuancée, ce qui n'était pas le cas au début de sa carrière.

"C’est de plus en plus politisé, il y a de plus en plus de colère."

Morgane Giuliani

C'est une des choses qui la rend passionnante : quand on regarde sa discographie entière, on constate une évolution dans la manière dont elle raconte la relation entre les hommes et les femmes. C'est de plus en plus politisé, il y a de plus en plus de colère. On sent aussi un point de vue féministe où elle évite d'ériger les femmes les unes contre les autres, alors que c'est ce qu'elle faisait avant.

Taylor Swift a cette image de la petite fille sage depuis ses débuts… Et pourtant, en titre de votre livre, vous parlez de « rebelle » ?

C'est sûr qu'on ne pense pas tout de suite à Taylor Swift (rires). Mais en fin de compte, c'est quelqu'un qui s'est beaucoup rebellé contre l'industrie musicale, qui s'est rebiffé contre les services de streaming jusqu'à les faire plier, contre sa première maison de disques qui a vendu ses premiers albums sans son accord. Du coup, elle a décidé de les réenregistrer… Tout ça fait peur, certains majors ont depuis durci leurs contrats et les possibilités de réenregistrement pour éviter que d'autres suivent son exemple.

Déjà toute jeune, on lui avait proposé dans une maison de disques un contrat de développement où on lui proposait d'enregistrer des chansons écrites par d'autres personnes. Elle a refusé et elle a claqué la porte. Je trouve que ça dénote aussi une volonté de faire comme elle l'entend, avec une vraie confiance en elle et en ses capacités. Elle fait en sorte d'avoir vraiment la maîtrise de sa carrière, de sa discographie. Elle s'est aussi rebellée contre son entourage proche qui ne voulait pas qu'elle se mette à s'engager politiquement.

Taylor Swift a une façon assez exceptionnelle de jouer avec ses fans, avec les indices qu'elle peut faire apparaître ici ou là sur les réseaux sociaux… Dans quelle mesure cela contribue-t-il à rendre ses admirateurs encore plus fans ?

Je pense que ça l'amuse beaucoup et qu'elle ne le fait pas de manière purement intéressée. Mais il y a quand même du génie marketing là-dedans. Elle a commencé sans y réfléchir, c'était son premier ou son deuxième album, elle commençait à cacher des messages dans ses titres, en mettant des lettres majuscules par-ci par-là, pour créer une phrase.

Tout ça a pris des proportions énormes aujourd'hui, les fans vont en parler sur les réseaux sociaux, ils vont faire des vidéos, ça crée énormément d'engagement et ça lui fait de la pub gratuitement. C'est allé jusqu'au point où elle a même fait un partenariat avec Google. Quand on tapait « Taylor Swift », ça affichait un puzzle à résoudre.

Ça contribue à cette impression de proximité qu'ont les fans, de se sentir à part, de souder la communauté, de leur montrer qu'elle pense à eux et qu'elle les prend en compte au moment de promouvoir ses albums. D'ailleurs elle le dit : elle continuera à le faire tant qu'elle constatera que ça continue d'amuser les fans.

"Elle attise beaucoup d’animosité aussi bien à gauche qu’à droite. À gauche, parce qu’il y a des gens qui estiment qu’elle ne s’engage pas assez et à droite parce qu’elle est déjà beaucoup trop engagée à leur goût."

Morgane Giuliani

Son influence envers la jeunesse fait trembler la droite conservatrice américaine. En 2016, en revanche, elle avait été attaquée pour ne pas avoir pris position sur la présidentielle entre Donald Trump et Hillary Clinton… Que sait-on de son engagement ?

Ce n'est pas le genre d'artiste qui va réagir en permanence au moindre truc qui se passe. On attend beaucoup ça des stars aujourd'hui, parce que nous-même, en fait, on peut se sentir obligé de le faire. Pour sa première prise de parole politique, en 2018, pour soutenir des candidats démocrates du Tennessee pendant les élections de mi-mandat, elle avait écrit un long texte qui a été mûrement réfléchi, relu plusieurs fois avec son bras droit.

En parallèle, il lui a été reproché, pendant sa tournée américaine, de ne pas avoir eu un mot sur scène pour l'accès à l'IVG dans les États où il était en danger. Mais ce n'est pas sa manière de faire. Quand l'arrêt Roe vs Wade, qui garantissait l'accès à l'IVG sur tout le territoire des États-Unis, a été renversé, elle s'était indignée sur Twitter en disant qu'elle trouvait ça terrifiant, très inquiétant et que c'était très grave. Donc elle va le dire une fois, mais pas le répéter.

Je pense qu'elle reste quand même un peu terrifiée de la réaction des gens. Puis elle est aussi dans une position compliquée, elle attise beaucoup d'animosité aussi bien à gauche qu'à droite. À gauche, parce qu'il y a des gens qui estiment qu'elle ne s'engage pas assez, et à droite parce qu'elle est déjà beaucoup trop engagée à leur goût.

En tout cas, l'époque où les supporteurs de Donald Trump en faisaient une égérie semble bien loin…

Fox News, par exemple, en parle très souvent, ils font des éditos sur elle, ils lui disent de rester dans la musique, de ne pas faire de politique, que ça ne la regarde pas… Ils ont peur qu'elle appelle officiellement à voter Joe Biden. Elle arrive tellement à mobiliser les jeunes que ça pourrait porter un gros coup à Donald Trump.

Le silence permet toutes les récupérations. Pendant longtemps, on l'a présentée comme la chérie de l'Amérique de Trump, ce qui était vraiment une instrumentalisation très malhonnête. Parce qu'en regardant ses paroles et même son entourage, il y avait quand même beaucoup d'indices qui laissaient penser qu'elle était du côté démocrate. Aujourd'hui, ce ne serait plus possible.

Par Jérémy Maccaud pour Le Point.