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Richard Volange : l'entretien avec le groupe EBRA

« Une forme de thérapie » : un ex-espion dévoile ses secrets.

À quoi ressemble la vie d’un espion ? À l’occasion de la sortie de son livre, Richard Volange nous dévoile les secrets de ses qua-rante-quatre années passées à la DGSE, le service du renseignement français. Votre ouvrage ne semble pas avoir plu à la DGSE… Prenez-vous des risques en sortant ce livre ?

« Pas vraiment, sauf sur la partie concernant Peter Cherif où le dossier est toujours d’actualité, puisque l’intéressé est envoyé aux assises. Je préfère rester à visage caché pour éviter toute sorte de traque de la part de gens qui souhaiteraient remonter jusqu’à ceux ayant organisé sa capture. Je ne trahis pas de secret-défense. Je relate des affaires aux-quelles j’ai participé, mais qui maintenant n’ont plus d’objet. »

Pourquoi avoir choisi de publier ce livre ?

« C’est une forme de thérapie, dans la mesure où mon histoire ne s’est pas très bien terminée au sein de la DGSE. Je n’ai pas pu faire de dernière mission, car on me considérait comme trop âgé. Cette maison étant particulière, je pensais avoir encore quel-ques années sur le terrain et non dans un placard. L’autre ob-jectif était de faire partager mon expérience aux plus jeunes, leur donner le goût de faire une carrière au sein de la DGSE. »

Espion, c’était un rêve d’enfant ?

« Non, pas du tout. Mon père avait intégré la DGSE après la Seconde Guerre mondiale. J’ai fait mon service militaire à Fon-tainebleau et il m’a fait venir à la DGSE pour les dix mois de clas-se qui restaient et je n’en suis plus parti. »

Quel était le profil de vos sources ?

« Mes sources étaient liées au politico-sécuritaire. C’était des gens qui appartenaient aux for-ces armées, à la police, ou bien des hommes politiques – du pouvoir comme de l’opposition –, mais aussi des hommes d’af-faires qui travaillaient dans des secteurs sensibles tels que les matières premières. »


Avez-vous eu de faux papiers d’identité lors de vos missions ?

« Oui pour certaines missions comme pour approcher Nikita, l’un des interprètes de Poutine, ou bien au Bénin pour des missions de courte durée. Sinon, je disposais d’un passeport diplomatique en identité réelle. Une identité fictive se gère en assimilant son personnage le mieux possible en prévoyant des questions qui relèvent bien souvent d’un parcours censé coller avec la couverture employée. »

Vous avez tenté de recruter l’un des interprètes de Poutine dans les années 2000. Racontez-nous…

« Nikita a immédiatement accepté une rencontre à Stras-bourg où il démarrait sa scolarité à l’ENA. Il était attachant, mais dans la droite ligne de ce à quoi on assiste aujourd’hui. Il ne pouvait pas accepter la chute de l’URSS et voulait que la Russie redevienne une puissance. Il buvait énormément d’alcool. Avant le repas, dans ma cham-bre d’hôtel, j’avalais plusieurs jaunes d’œuf pour tapisser la paroi de mes intestins et retarder l’absorption de l’alcool. »

Comment se crée une source ?

« Il faut déjà cibler la personne. On récolte d’abord un minimum d’informations sur sa vie, son parcours. Après, on prend contact avec et on essaie de voir si la discussion peut s’engager avec des questions de plus en plus sensibles. Ça prend plusieurs mois, plusieurs années, si c’est quelqu’un d’extrêmement sensible (un Chinois, un Russe…). Une fois que la personne commence à produire du renseignement intéressant, elle est “pseudonymisée” et considérée comme recrutée. On lui explique alors pour qui elle travaille, même si elle s’en doute depuis un moment. Elle est rémunérée. Je disposais d’une trentaine de sources et d’un budget annuel de 200 000 €. Certaines sources pouvaient toucher jusqu’à 1 500 euros par mois, mais les montants pouvaient être revus – à la baisse comme à la hausse –, en fonction de la qualité des informations fournies. »

Comment s’assurer de sa fiabilité ?

« On fait toutes les vérifications nécessaires durant cette phase d’approche. On va contrôler son téléphone, l’environnement qu’elle a décrit. On va recouper les informations qu’elle nous donne et c’est là que progressivement on va établir une certaine loyauté de cette source. On peut même la faire suivre pendant une semaine pour voir si elle n’a pas d’autres contacts avec d’autres services… »

Comment préserver ce lien secret ?

« On donne des rendez-vous de manière discrète. À l’épo-que, il n’y avait pas de smartphone, on se fixait rendez-vous via les cabines téléphoniques ou d’un rendez-vous sur l’autre. On pouvait aussi utiliser des forums. Avec les smartphones, on utilise des applications noyées dans la masse (WhatsApp…). L’objectif est d’entourer cette rencontre d’un maximum de discrétion. Vous avez un itinéraire sécurisé qui permet de vérifier que vous et votre source n’êtes pas suivis. »

Combien gagne-t-on quandon est espion à la DGSE en fin de carrière ?

« Tout dépend de notre grade et de notre emploi. Tout dépend des missions et des terrains sur lesquels on est envoyés. Ça peut aller de 3 000 à 15 000 euros en gros. »

Percevez-vous l’arrivée d’internet comme une opportunité pour le métier d’espion ?

« Les smartphones représentent la facilité. Mais c’est devenu un piège, car on a perdu en discrétion. Les réseaux ne sont pas suffisamment sécurisés et il y a toujours des failles. Fonctionner à l’ancienne est plus fiable, mais ça prend du temps. »

La France a sa propre mé-thode de renseignement, bien différente de celle des États-Unis. Laquelle est la plus efficace ?

« La méthode la plus efficace est celle de la France, qui consiste en la recherche humaine, parce que cela crée une relation dans la durée. Si comme les Américains, vous ne faites que du technique, en mettant simplement une très grosse somme d’argent sur la table contre une information, sans empathie sans rien, vous ne reverrez plus votre source par la suite. »

En France, y a-t-il des hommes politiques, ministres, fonctionnaires qui sont approchés par des services de renseignement étrangers ?

« Oui tout à fait. On a eu trace vers 2014-2015 de cabinets d’au-dit chinois qui étaient des couvertures du MSE (ministère de la Sécurité de l’État, ndlr) qui avaient lancé une campagne sur beaucoup de fonctionnaires de l’Otan, d’ambassades, dont une grande partie était français. Ils ont réussi à recruter des fonctionnaires français. »

Les Américains auraient-ils un intérêt à espionner la France ?

« Oui, mais cela dépend des segments. Il faut distinguer des pays comme la Chine, la Russie, l’Iran, de nos alliés traditionnels. Nos alliés ne sont pas des cibles, on ne va pas les espionner, sauf quand nos intérêts sont en jeu. Il peut y avoir des domaines dans lesquels les Américains ou les Britanniques peuvent être intéressés par nos activités. L’épisode des sous-marins australiens en est un ré-cent exemple. Même si la France est une puissance dite moyenne, on a des avances technologiques importantes dans certains domaines susceptibles d’intéresser nos alliés. Nous-même avons souvent espionné les États-Unis sur des domaines technologiques. »

Par Alexandre Simard pour le groupe EBRA.