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Yacine Hamened : entretien avec Le Point

Éducateur passionné, Yacine Hamened dénonce les dérives du foot business dans les écoles de foot, dès le plus jeune âge.

Au bord des terrains, c’est bien souvent un triste spectacle de parents hystériques qui perdent toute mesure. Une faute non sifflée sur leur enfant, et ce sont toutes les insultes du monde (quand ce ne sont pas les coups) qui s’abattent sur un arbitre, même pas encore majeur parfois. Un entraîneur qui remplace un enfant, et là, ce sont les parents qui voient rouge parce qu’il paraît qu’il y avait (peut-être) un recruteur au bord du terrain et que le train de la richesse est en train de filer à cause de l’éducateur. » Yacine Hamened est un homme en colère. Ancien responsable de la formation du FC Évian Thonon-Gaillard (des moins de 6 ans aux moins de 15 ans), l’éducateur publie Les Hors-Jeu du football français (éd. Talent Sport), un livre coup de poing qui dénonce les dérives de l’écosystème du sport le plus populaire dans l’Hexagone.

Votre livre s’appelle « Les Hors-Jeu du football français ». Que voulez-vous dire par là ?

 

J’ai voulu montrer que, malgré certains résultats – notamment le titre de champions du monde –, il y a des dysfonctionnements dans notre football. Structurels, administratifs, comportementaux… On peut faire beaucoup mieux.

Guy Roux expliquait au Point au mois de mai : « L’équipe de France va bien, mais le football français va mal. » Vous êtes sur la même ligne ?

Les premières journées de L1 cette saison sont un contre-exemple puisqu’elles tendent vers une évolution. Globalement, sur les dix dernières années, l’équipe de France va bien, pas les clubs.

 

Quand on vous lit, on n’a presque plus envie d’inscrire son enfant au foot…

Je suis passionné de football, mais mon fils fait du tennis… Malheureusement, je ne grossis pas le trait. Ce sont des faits. Ça pose problème. Beaucoup de parents se détournent du football à cause de l’environnement néfaste, violent. Quand on inscrit son enfant au sport, le premier but doit rester le plaisir, la passion. D’autres sports sont plus sains et plus adéquats à l’épanouissement de l’enfant, plutôt que la recherche de la réussite absolue.

Dans votre livre coup de gueule, vous expliquez qu’il y a deux alternatives : soit les enfants sont forts et deviennent des proies, soit ils sont moyens et personne ne veut les faire jouer. Que doit-on faire pour que le foot redevienne un jeu ?

Les clubs et leurs éducateurs doivent comprendre que leur première mission n’est pas de fabriquer des professionnels. Il y a plus de 15 000 clubs en France. Si on retire les 40 clubs de L1 et L2, ça fait 15 000 clubs qui ne font pas ce qu’il faut, en termes d’accueil, d’éducatif. Le problème est aussi structurel. Les ligues laissent faire, car ça les arrange de créer des clubs élites et de fabriquer ce rêve. Elles autorisent des mutations tous les ans. En CM2, des enfants de 10 ans prennent le bus trois fois par semaine pour aller jouer dans le meilleur club du secteur au lieu de jouer avec leur copain d’école ou de quartier.

Vous parlez aussi de « faux » agents qui promettent des millions aux parents alors qu’ils sont… commerciaux ou chauffeurs VTC !

Je comprends que chacun ait envie de réussir socialement, financièrement. Le football est une solution de facilité, car il ne nécessite pas de diplôme ou de compétences particulières. Si on a un peu de tchatche et des relations… Alors, on pense que tout le monde peut être agent et gérer la carrière d’un joueur. C’est faux ! Il faut connaître les règlements, les contrats, mais aussi le football. Pour certains, c’est comme s’ils étaient vendeurs d’aspirateurs ou de tapis. Beaucoup de gens s’engouffrent dans cette brèche – car elle existe – et le font au détriment des enfants. Ils contactent énormément de joueurs et de familles. Si les jeunes réussissent, tant mieux. Sinon, ils sont laissés de côté…

"Bientôt, les enfants de 8 ans auront des agents officieux."

 

On a l’impression que vous parlez de joueurs de 16 ou 17 ans. Mais, en fait, les footballeurs sont « recrutés » de plus en plus tôt !

L’explication est simple. L’Île-de-France est un vivier mondial. Les clubs étrangers y font du scoutisme. Un règlement interdit aux clubs étrangers de recruter un enfant français avant ses 16 ans. Donc, les clubs français les contactent dès l’âge de 12 ans pour éviter la concurrence. Mais à 12 ans, les enfants ont déjà un « conseiller pseudo-agent ». Donc il faut commencer encore plus tôt. C’est à l’infini ! Bientôt, les enfants de 8 ans auront des agents officieux.

Est-ce spécifique à la France ? Comment ça se passe dans les autres pays ?

La France est un marché très spécial. Nous avons un vivier de joueurs unique. La concurrence est exacerbée, et il y a très peu d’identité club. On joue exactement le même football à Montrouge, à l’ACBB ou à Torcy. On fabrique des joueurs individualistes, en se basant sur des qualités athlétiques. Dans les autres pays, où la culture club est plus forte, chaque club a son identité, sa façon de jouer, et les enfants ne changent pas de club chaque année. Le seul pays qui se rapproche de la France est – à une moindre échelle – la Belgique.

Vous dites qu’on ne « forme » pas, mais qu’on « fabrique » des footballeurs. C’est-à-dire ?

Si on forme, on met en place quelque chose, un projet. En France, on fabrique pour vendre. C’est comme du textile chinois. Un produit standard, pas forcément de grande qualité. En France, on fait des numéros 6 (milieu de terrain défensif, NDLR) travailleurs et destructeurs. Ça marche, car peu de pays ont ce genre de profil. Devant, on produit des joueurs rapides, avec une bonne technique, capables d’éliminer.

Quelles solutions proposez-vous ?

Il faut ouvrir le football à d’autres milieux. Intégrer dans les instances dirigeantes des gens qui ont vu les incohérences sur le terrain. Le football français est très consanguin. À de rares exceptions près, les entraîneurs sont tous d'anciens joueurs professionnels, donc ils reproduisent le même modèle. Au Portugal, la formation d’entraîneur est ouverte à tous et ressemble à un diplôme universitaire. Les Allemands ont des entraîneurs comme Nagelsmann, qui n’est pas un ancien professionnel et qui a une vision très moderne du foot.

En refermant votre livre, certains vont malgré tout dire : oui, mais Kylian Mbappé est français, formé en France et la France est championne du monde.

On va toujours nous raconter cette histoire du petit Français de tel quartier qui réussit. Finalement, combien de joueurs français sont des titulaires indiscutables dans le top 8 européen ? Au lieu d’ouvrir les yeux, on ramène toujours à deux choses : Mbappé et la Coupe du monde.

À l’issue de votre ouvrage, vous remerciez « les éducateurs qui ont envie d’être là pour les enfants plus que pour eux ». Cela veut-il dire que les entraîneurs d’équipes d’enfants se prennent tous pour Guardiola ou Mourinho ?

Ils cherchent la visibilité. On leur fait croire qu’ils vont devenir « quelqu’un ». Je vous donne l’exemple de Montrouge, qui a atteint la finale du championnat de France des moins de 17 ans. Mais c’est grâce à son recrutement, pas grâce à la génération des enfants de Montrouge. Ils fabriquent de grosses équipes. Moi, ce n’est pas mon travail. On doit être là pour les enfants, les éduquer à un sport collectif, des règles de vie.