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Catherine Belton : son entretien avec le Soir en Suisse

Dans un livre édifiant qui vient de sortir en français, la journaliste britannique Catherine Belton explique comment le KGB s’est emparé de la Russie avant de s’attaquer à l’Ouest.

"La City s'était habituée à être inondée de cash russe..." Dans son livre, Les hommes de Poutine, qui vient de paraître en français, la journaliste britannique Catherine Belton décrypte les arcanes du Kremlin contrôlés par des "anciens" du KGB devenus hommes d'affaires. 

À la lecture de votre livre, on comprend mieux pourquoi Poutine est toujours au pouvoir... 

Il y a deux ans, il semblait prêt à céder sa place mais les cercles de pouvoir autour de lui ont tout fait pour qu’il reste, vu tout le pouvoir qu’il avait accumulé. Ils se demandaient ce qu’ils allaient devenir sans celui grâce à qui ils étaient en place. C’est pour cette raison qu’ils ont changé la Constitution et que Poutine est toujours président. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer.

Tout le système tourne autour de lui, personne ne veut que cela change en interne ?

Il y a eu la période intermédiaire entre 2008 et 2012, avec Dmitri Medvedev comme président. Il était le seul pressenti parce que l’entourage de Poutine croyait qu’il ne sortirait pas de la ligne tracée ni qu’il lui ferait de l’ombre. Mais une fois président, Medvedev a très vite commencé à remplacer les hommes de Poutine à la tête de sociétés comme Gazprom et Rosneft. Il a également négocié un accord de non-intervention avec les Etats-Unis sur la Libye. Ce qui a été ressenti comme une trahison vis-à-vis des intérêts stratégiques de la Russie. L’entourage de Poutine a ensuite tout fait pour qu’il reprenne sa place.

Quelle est la principale leçon à retenir sur cet entourage ?

On observe très clairement cette ascendance des plus proches alliés de Poutine, ceux du KGB de Saint-Pétersbourg, quand la ville s’appelait encore Leningrad. Et surtout Nikolai Patrouchev, le secrétaire du Conseil de sécurité. C’est un vrai partisan de la ligne dure, très influent au Kremlin, et il est un des rares à avoir encore un accès direct au président. Car depuis le début de la pandémie, Poutine s’est complètement isolé de la plupart des membres de son entourage. Ceux-ci doivent subir des quarantaines de deux semaines sous bonne garde avant de pouvoir le voir. Patrouchev lui dit ce qu’il doit faire, sur l’Ukraine notamment. C’est lui qui répète que les Etats-Unis utilisent l’Ukraine comme une plateforme pour saper le régime russe. C’est lui qui n’a pas arrêté de faire peur aux Ukrainiens. Il répète que la Russie doit préserver son intégrité territoriale. Il a 70 ans et une vision très guerre froide du monde.

Beaucoup, en Europe, tablent sur la mort de Poutine ou son éviction. Mais il serait aussitôt remplacé et ce ne sera sans doute pas mieux ?

Une chose est claire, on voit que quelque chose ne tourne pas rond avec Poutine mais on ne sait pas quoi. Depuis le début de l’année, on ne l’a pas vu jouer un match de hockey sur glace alors qu’il le faisait régulièrement, on voit que tous ses interlocuteurs sont tenus à grande distance et on voit souvent Patrouchev dans les environs. Il est très probable que Patrouchev prenne la relève si quelque chose devait arriver à Poutine. Il déteste les Etats-Unis et plus la situation se dégrade, mieux c’est pour lui. Par contre, il est plus vieux que Poutine et ne pourrait être qu’un dirigeant intermédiaire. Il faut savoir également que les milieux économiques ont été pris au dépourvu et sont choqués par la décision d’envahir l’Ukraine. Certains croient la propagande officielle mais beaucoup estiment que leurs efforts des trente dernières années sont réduits à néant. L’économie subit de plein fouet les sanctions et connaît la pire récession depuis trente ans.

L’histoire se répète ?

Quand l’Union soviétique s’est effondrée, la perestroïka était défendue par des éléments progressistes au sein du KGB. Ils voyaient que l’URSS ne pourrait pas survivre à l’économie de marché. Ils ne pourraient pas concurrencer l’Ouest militairement ni économiquement. Puis ils ont perdu le contrôle. Aujourd’hui, on pourrait se retrouver dans une situation similaire. Il y a des progressistes au sein des services qui sont profondément déçus du tournant soviétique pris par le régime. Personne ne peut présager ce qu’il va se passer dans deux, trois ou quatre ans, mais il y aura un contrecoup à la guerre de Poutine.

Pourquoi Poutine a-t-il finalement déclaré la guerre ?

Apparemment, il croyait vraiment que les Ukrainiens voulaient rejoindre la Russie et que l’armée russe serait accueillie  à bras ouverts… Dans un système autocratique comme la Russie, je crois que beaucoup de monde autour de lui a dû lui dire ce qu’il voulait entendre. Mais le retour d’information est défaillant. Il est vrai que l’Ukraine a été confrontée à de la corruption à grande échelle durant des décennies et Poutine croyait sans doute que ce serait facile d’acheter tout le monde. Il croyait aussi que Zelensky allait rapidement s’enfuir comme le président afghan l’a fait avec l’arrivée des talibans ; et aussi que la réplique des Occidentaux ne serait pas unie et forte. Le danger, c’est qu’il a eu le temps de réajuster les opérations et qu’on est parti pour un conflit de longue durée. La Russie concentre ses efforts dans l’est du pays et l’économie ukrainienne est fortement touchée par la guerre.

Poutine mène aussi la guerre contre la démocratie ?

C’est une compétition entre deux modèles. La Russie soutient clairement l’avènement de mouvements et de leaders populistes en Europe tels Orban en Hongrie et Marine Le Pen en France ; des gens qui admirent sa façon de gouverner. Un des anciens alliés de Poutine au sein du KGB m’a expliqué que Moscou faisait tout pour s’adresser aux déçus de la mondialisation.

L’Europe a été naïve trop longtemps face à ces attaques ?

Complaisante, naïve, un peu de tout ça. Poutine a bien joué sur les dégâts et les inégalités causés par la crise économique de 2008. Une grande partie de l’Ouest était assez arrogante pour penser qu’après la chute de l’Union soviétique, le seul modèle était le sien… On a accepté les énormes flux d’argent venant de Russie sans trop se poser de questions sur sa provenance.

L’Europe est assez solide aujourd’hui pour résister à la guerre ?

Au début, oui, elle a bien résisté au choc de l’invasion. Le danger maintenant, ce sont les prix élevés de l’énergie… Ce sera compliqué pour l’Europe d’éradiquer complètement l’influence russe avec des gens comme l’Allemand Gerhard Schröder, qui continue à travailler pour certaines compagnies russes. Bien sûr, les sanctions existent, mais elles peuvent être en partie contournées. Certains dirigeants européens sont faibles et devront affronter leur opinion publique avec des prix de l’énergie élevés. Et après l’Ukraine, certains se disent que la Russie pourrait s’attaquer à d’autres cibles.

Du Financial Times au Washington Post ?

De nationalité britannique, Catherine Belton a été la correspondante du Financial Times à Moscou de 2007 à 2013. Elle travaille aujourd’hui à Londres pour le Washington Post. L’édition originale de son livre (In Putin’s People) est sortie en anglais en 2020. A travers des entretiens exclusifs avec des acteurs clés repentis, elle raconte comment cette ligue d’oligarques a pris le contrôle de l’économie, siphonné des milliards, brouillé les frontières entre le crime organisé, le système judiciaire et le pouvoir politique, enfermé les opposants puis utilisé leurs richesses et leurs réseaux pour étendre son influence en Occident. Depuis sa parution, le livre fait l’objet de multiples procédures, intentées par des individus qui y sont citées.