Sport Culture
Lifestyle et Business

NEWSLETTER

"Les hommes de Poutine", l'enquête sur les prédateurs financiers du Kremlin dans Challenges

L’ex-correspondante du Financial Times à Moscou, Catherine Belton, a concocté un vrai polar financier sur la Russie du clan Poutine et sa conquête de l’Ouest. Sa traduction en français sort ce mercredi.

S’il ne fallait lire qu’un seul livre sur l’ascension de Vladimir Poutine, ce serait celui-ci: "Les hommes de Poutine, comment le KGB s’est emparé de la Russie avant de s’attaquer à l’Ouest". Ecrit en 2020, ce best-seller international, qui s’est vendu à 800.000 exemplaires dans le monde, vient enfin d’être traduit en français, chez Talent Editions. Se basant sur d’innombrables sources gravitant autour du Kremlin, Catherine Belton, ex-correspondante du Financial Times à Moscou, y décrit le système de prédation économique mis en place par Poutine et la création d’un "Obschak", sorte de vaste caisse noire, permettant de servir ses intérêts personnels et politiques. 

Ce récit captivant, fruit de dix ans d’enquête, montre comment le président russe a remplacé les oligarques libéraux de l’ère Eltsine par une caste d’affidés connus au sein des services de renseignement et à la mairie de Saint-Pétersbourg. Depuis trente ans, ces hommes ont patiemment tissé leur toile financière en Europe et aux Etats-Unis jusqu’à ce que la guerre en Ukraine en fasse des parias, les exposant à de multiples sanctions financières. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs attaqué en justice Catherine Belton, dont Roman Abramovitch, l’ancien propriétaire du club de foot de Chelsea, avec qui elle a finalement réussi à transiger, ne concédant que quelques retouches minimes à son texte.

 Le 7 juillet, Le Parisien a aussi révélé que deux financiers genevois, Serge de Pahlen et Jean Goutchkoff, proches des milieux d’affaires russes, menaçaient l’éditeur français de poursuites en diffamation. Belton pointe notamment les liens entre Jean Goutchkoff, passé par les filiales suisses de HSBC et de la Société Générale, et Guennadi Timtchenko. Cet ancien espion du KGB, l’un des plus proches et des plus discrets alliés de Poutine, a fait fortune en créant Gunvor, géant mondial du trading pétrolier, implanté sur les bords du lac Léman. L’oligarque francophile, propriétaire de biens immobiliers à Paris, Méribel ou encore Saint-Raphaël, a été l’un des agents d’influence du Kremlin à Paris, comme le montre cet extrait du livre (pages 508-509).

"En élargissant les manœuvres qu’il avait entreprises à l’Est, le Kremlin a commencé à injecter des ressources à l’Ouest. Les hommes d’affaires genevois, par exemple, avaient depuis longtemps tissé des liens avec le sommet de l’élite française, en particulier avec l’aristocratie. Lorsque Guennadi Timtchenko a commencé à établir des relations avec la plus importante entreprise française du secteur de l’énergie, Total, la voie était ouverte pour ancrer davantage l’influence russe au sommet de la société française. En 2009, Alain Bionda, un avocat genevois affable qui collaborait étroitement avec Goutchkov et Timtchenko, avait déjeuné et dîné avec deux des plus hauts dirigeants de Total au moment où Timtchenko achetait le deuxième producteur de gaz de Russie, Novatek, tandis que début 2013, Goutchkov assistait à un petit déjeuner avec François Hollande lors de sa première visite à Moscou en tant que Président français.   
Avec l’aide de ses associés genevois, Timtchenko a consolidé ces liens en vendant une participation de 12 % dans sa Novatek et une participation de 20 % dans le projet de gaz naturel liquéfié de la société à Total pour 4 milliards de dollars. Deux ans plus tard, Timtchenko recevait la plus haute distinction française, la Légion d’honneur. Il avait également été élu président du conseil économique de la Chambre de Commerce franco-russe, un organisme commercial qui a rapidement accueilli les plus grands industriels français ainsi que des membres les plus importants du capitalisme du KGB de Poutine, dont Andrei Akimov, le dirigeant de Gazprombank lié au KGB et Sergueï Chemezov, le camarade du KGB de Poutine à Dresde qui dirigeait maintenant le monopole d’État de l’armement en Russie. Tandis que l’Occident s’apprêtait à sanctionner la Russie pour son incursion en Crimée, Timtchenko et Akimov sont restés en dehors de la liste des sanctions de l’Union européenne, bien qu’ils aient été ciblés par les États-Unis, tandis que Chemezov restait en quelque sorte au conseil d’administration du Conseil économique malgré les sanctions de l’Union européenne. Total demanda la levée des sanctions, point final.  
Les efforts de la Russie ne reposaient pas uniquement sur l’établissement de liens commerciaux ou sur des tentatives pour diviser l’unité occidentale sur les sanctions. Par le biais d’agences d’État comme Rossotrudnichestvo et Russky Mir, un réseau de groupes de réflexion avait commencé à s’enraciner profondément à Paris. L’institut russe pour la démocratie et la coopération s’est installé dans une rue tranquille du 7e arrondissement en 2008. Il se présentait comme la réponse de la Russie à la fondation Carnegie des États-Unis pour la paix internationale pour contrer les opinions occidentales négatives sur la Russie et mettre fin à ce que l’un de ses fondateurs qualifiait de "monopole occidental" sur la définition des droits de l’homme et de leur respect par la Russie. […] Mais il n’y avait rien sur le majestueux bâtiment en pierre que l’institut était censé occuper qui indiquait sa présence en ces lieux, alors que sa directrice était une agente des services secrets russes à peine dissimulée – une ancienne diplomate de haut rang des Nations Unies de l’ère soviétique, Natalia Narochnitskaya, qui, selon un ancien officier supérieur du renseignement russe, travaillait pour le KGB depuis l’époque soviétique."

Présentation du livre rédigée par David Bensoussan, pour Challenges.